Cette année encore, l'émission de télévision La Cérémonie des Césars va venir au secours du succès, mais sans ostentation, va couronner un petit nombre de choses oubliables mais françaises de façon à leur faciliter une seconde carrière éventuelle, va se planter en distinguant des nanars qui seront totalement oubliés dans un an. Pour faire genre, les plus gros succès commerciaux franchouilles de l'année seront snobés (comme le furent Les Choristes, Indigènes ou les Ch'tis, provoquant, pour ce dernier, la colère grotesque de son réalisateur) au bénéfice, non pas d'un cinéma du milieu que défend Pascale Ferran, mais d'un cinéma moyen, à la mode d'UGC.
En fait, cette "cérémonie" repose sur un paradoxe qui croît avec le temps. Les Césars couronnent essentiellement la production française. La cuvée 2010 retient, ainsi, 96 nominations concernant des films français contre 7 pour les restes du monde. Or la place du cinéma français s'est réduite avec le temps pour représenter, aujourd'hui, pratiquement rien dans la production mondiale. On peut étendre l'analyse au cinéma européen, mais je vous propose de poursuivre en musique, avec la question d'usage qui fera de vous le ou la Césarisé(e) des petits pavés, si vous trouvez la réponse.
Voici une petite chanson :
Dans un film d'Alfred Hitchcock, cette chanson, interprétée par Doris Day, constituait un véritable élément dramatique, c'est à dire propre à faire progresser l'action : lequel SVP ? Question subsidiaire : quel film ?
Traditionnellement, le cinéma mondial était dominé par les Etats-Unis et l'Europe et, en Europe par la France et l'Italie. Selon les périodes, d'autres cinémas nationaux se sont imposés, mais jamais durablement. Ce fut le cas du jeune cinéma anglais, puis d'Europe de l'Est dans les années 60, puis du cinéma allemand dans les années 70, suivi par le cinéma espagnol après la mort de Franco. Mais les petits frenchies de la nouvelle vague, entourés par quelques indépendants non encartés aux Cahiers du Cinéma (je ne donne pas de nom) et les héritiers italiensdu néo-réalisme , incarnés dans la Comédie italienne, mais aussi par des franc-tireurs, dominaient totalement le 7ème Art européen, tant en termes de créativité que de marché.
Quant au ciné US, son caractère dominant (dominateur ?) ne fait, j'imagine, de doute pour personne.
On n'a pas voulu voir le vent d'Est souffler, mais dès les années 80, puis de plus en plus dans les décennies suivantes, une bombe asiatique a explosé, emportant sur son passage bien des certitudes. Portés par l'émergence économique de leur pays, les jeunes cinéastes chinois, taïwanais, coréens, philippins, aux côtés de leurs aînés japonais ont développé un art cinématographique de moins en moins local, de plus en plus essentiel. Aujourd'hui, le cinéma asiatique domine superbement la production mondiale, et nous découvrons, émerveillés, plusieurs nouveaux maîtres par an, pendant que leurs petits frères latino-américains nous étonnent de plus en plus par leur brio et leur sens de l'innovation.Le cinéma français s'est drapé dans une Exception un peu réac, assez nationaliste, extrêmement vaine et n'est pas mort en raison de son système particulier de financement. Donc, les films français existent, de nouveaux créateurs s'expriment, même s'ils ont le plus grand mal à montrer leurs films en raison d'un système de distribution aberrant, calqué sur le modèle US. Pour sa part, le cinéma allemand a connu quelques soubresauts, mais l'italien est KO, volontairement dézingué par le berlusconisme télévisuel (je sais, il y a des exceptions, comme le survolté Vincere de Bellochio ou quelques Moretti, mais il s'agit bien d'exceptions). Vous pourriez, vous, me citer sans chercher dans Wikipedia les noms de 5 cinéastes italiens vivants et de moins de 50 ans ? Je ne pense pas. Et en France, vous pouvez me dire qui a surgi ces 15 ou 20 dernières années pour damer le pion à James Gray ou Tarentino ? Qui a cette force, cette énergie, cette conviction ? Par ailleurs, vous avez vu les films de Bong Joon Ho, de Tsai Ming Liang, de Hong Song Soo, de Johnie To ? Vous imaginez un équivalent en France ? Moi non.
Le cinéma européen le plus intéressant vient de Belgique, mais c'est une autre histoire.
Pour l'instant, le modèle américain (US) se maintient plutôt bien, mais cette domination relative repose sur la suprématie économique des États-Unis (fragile) et suppose des évolutions, telle la 3D qui, en fait, plaque sur le cinéma US la logique esthétique des jeux vidéos.
Alors, les Césars ? Tentative pathétique de lancer des paillettes dorées sur un naufrage annoncé ? Rationalisation (au sens freudien) du cocufiage généralisé d'une profession pourtant célibataire ? Je ne sais pas et, à vrai dire, je m'en fous un peu. Mon année ciné 2009 a été belle, mon plaisir intense, parfois orgasmique, notamment grâce à des films totalement négligés par l'Académie (l'Académie... il fallait que ces fossoyeurs s'affublent du qualificatif infamant d'académisme. Appelons ça de l'auto-dérision). Mais l'Académie se donnant pour objet de glorifier la Franco-France, tout en éliminant tout ce qui pourrait évoquer un élitisme forcément parisien, mais aussi tout ce qui ressemble de trop près à des produits manufacturés de type pompe à fric (soit, ni Alain Cavalier/Bruno Dumont/Christophe Honoré côté tête, ni Kad Merad/Cornillac/Boon côté portefeuille), les Césars ne peuvent que promouvoir un cinéma sans saveur, sans personnalité, sans ambition. Des produits standards faits pour plaire, par de bons techniciens, par des financiers prudents. Parfois, un cinéaste-alibi est pris au piège (Pascale Ferran, Jacques Audiard peut-être cette année), mais il reste un simple alibi : un cache.
Cela donne le ridicule de la sélection des "meilleurs films" où se côtoient L'année de la jupe (rires), Le concert (stupéfaction) et Les herbes folles (tiens ? Un Resnais. Serait-ce lui, l'alibi ?). Quant à la pauvre liste des meilleurs réalisateurs (tiens ? Resnais n'y est pas ; on suppose que Lioret lui est supérieur, ou Milaileanu ?), elle est purement anecdotique. Comment Audiard pourrait-il échapper à son destin : vaincre sans avoir à combattre ? Anecdotique aussi, la présence dans la liste du belge Lucas Belvaux, qui s'est montré un des plus originaux et courageux créateurs de cinéma francophone. Avant Rapt, qui est de loin l'œuvre la moins personnelle, la moins originale, de l'auteur-acteur-réalisateur de La raison du plus faible et surtout de l'ébouriffante trilogie Un couple parfait / Cavale / Après la vie... Rapt est, au mieux, un bon film, virtuose mais un peu froid, là où la trilogie était incandescente. Cette baisse de régime est-elle suffisante à justifier l'arrivée de Belvaux dans le top 5 des Césars 2010 ?
Je suis de mauvaise foi ? Peut-être, mais eux, alors ?
Mon seul souhait pour cette promotion 2010, si je puis encore en exprimer un après cet assaut de bile déversé sur la Cérémonie, est que Florence Loiret-Caille, même si elle n'est pas nommée pour le bon film (elle était tellement bien dans Au voleur ! mais évidemment, l'Académie a préféré l'au tiède servie par Zabou Breitman qui, par son consensualisme mou est, finalement, très emblématique de cette niaiserie ambiante) ait un César. Celui qui sauve l'honneur.
Sans déconner, tout ça me trouble terriblement. J'adorerais avoir votre avis en commentaires, pas pour multiplier les commentaires, juste pour savoir si je prêche dans le Désert ou non. A vous lire.
LES FILMS QU'IL SERAIT BALLOT DE RATER CETTE SEMAINE !
Shutter Island
film américain (US) de par Martin Scorsese (2008, 2h17)
scénariste : Laeta Kalogridis (d'après Dennis Lehane)
directeur photo : Robert Richardson (habituel d'Oliver Stone, a travaillé avec Scorcese, Tarentino, R. Redford, R. Reiner)
distributeur : Paramount Pictures France
avec Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley
Synopsis : En 1954, le marshal Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule sont envoyés enquêter sur l'île de Shutter Island, dans un hôpital psychiatrique où sont internés de dangereux criminels. L'une des patientes, Rachel Solando, a inexplicablement disparu. Comment la meurtrière a-t-elle pu sortir d'une cellule fermée de l'extérieur ? Le seul indice retrouvé dans la pièce est une feuille de papier sur laquelle on peut lire on peut lire une suite de chiffres et de lettres sans signification apparente. Oeuvre cohérente d'une malade, ou cryptogramme ?
Libération, peu convaincu par la performance de Scorsese, ironise sur la mauvaise qualité du jeu des acteurs (avec Ben Kingsley, c'est facile, il est généralement mauvais comme un cochon, sauf peut-être dans ce rôle subtil de bourreau virant victime, face à une Sigourney Weaver vengeresse et dangereuse, dans La jeune fille et la mort de Polanski) et ose "Leonardo DiCaprio, s’il ne rase pas tout de suite ce petit bouc ridicule et s’il continue de reprendre du McDonald, va finir par ressembler à Clovis Cornillac" (Philippe Azoury dur, dur). Le NY Times évoque un film refermé sur lui même et s'interroge sur les buts poursuivis par le réalisateur.qui, perdu dans son sujet paranoïaque, semble ne plus savoir où il veut nous mener. Critikat ne donne pas dans la dentelle : "Mis en scène par Scorsese, qui nous a habitué à une certaine excellence, la déception est grande : cette œuvre académique, qui rend un hommage appuyé et maladroit au classicisme hollywoodien, est terriblement vaine. C’est dur de vieillir". Serge Kaganski, dans Les inrocks, au contraire, se montre absolument bienveillant. Pour lui, "Shutter Island traîne quelques scories et autres boursouflures formelles, mais le film demeure passionnant, complexe, riche de différents niveaux de lecture (...) Après le retour en mode mineur et indé de Coppola avec Tetro, la génération dorée des Italo-Américains du “nouvel Hollywood” prouve son endurance et sa longévité". Samuel Douhaire, dans Télérama, est carrément enthousiaste et je cite un paragraphe in-extenso : "Le récit machiavélique conçu par Lehane, son écriture si cinématographique (...) garantissaient le suspense. Encore fallait-il un grand acteur pour exprimer toute la complexité du personnage principal. Et un réalisateur inspiré pour hisser ce superbe scénario au-delà du simple thriller. Leonardo DiCaprio, de toutes les scènes ou presque, rend intense son personnage qui passe de la toute-puissance au doute absolu. Et Martin Scorsese se montre en très grande forme dans sa relecture du cinéma de genre."
Moralité : la critique fait son boulot et il nous appartient de nous faire une opinion en voyant le film. Moi, j'ai très envie de voir le film.
un film français de Valérie Donzelli (2009, 1h24)
scénariste, compositrice, parolière et interprète des chansons du film, costumière : Valérie Donzelli
directrice de la photographie : Céline Bozon
avec Valérie Donzelli , Jérémie Elkaïm , Béatrice de Staël
Adèle une jeune trentenaire se fait quitter par Mathieu, l'amour de sa vie. Anéantie, suffoquée, Adèle ne veut plus qu'une chose : mourir. Rachel, une cousine éloignée, la prend en charge. Elle décide d'aider Adèle en essayant de lui trouver du travail, de lui redonner goût à la vie et de la conseiller sentimentalement. Son principal conseil : coucher avec d'autres hommes afin de désacraliser cette histoire… À son corps et cœur défendant, Adèle part au combat.
Premier contact : visuel, le titre sur l'affiche (une adaptation de Chester Himes ? en fait, non). Deuxième contact : la bande-annonce. Une BA qui m'a tout de suite donné envie par sa fantaisie pas niaise de girl movie futé. Fluté. Troisième contact, le distributeur : Shellac, qui nous a donné en 2009 le plaisir de découvrir Au voleur ! et Violent days, entre-autres. Quatrième contact : une petite nana gonflée qui, pour son premier film, assure la réalisation, le scénario, la musique, les costumes, même le rôle principal, celui de la Reine des pommes. Cinquième contact : je découvre la belle aux côtés de Benjamin Biolay dans un titre (15 août, pas le plus dégueu) du superbe La superbe.
Là, tel que vous me voyez, je reste la lippe pendante, les mains tendues, les yeux dans un vague très précis, en attente du début de la séance. Quoi qu'en dise la presse.
Et la presse est loin de dire du mal :
"On retrouve quelque chose de Rohmer donc, dans le déséquilibre latent du parlé à la réalité, quelque chose de Mouret dans cette obsession de la légèreté, du fantaisiste. Valérie Donzelli réussit tout de même un grand pari : faire de son premier film une sorte de manifeste cinématographique, une forme de déclaration d’amour à un cinéma d’auteur très intimiste auquel on reproche souvent une écriture trop appuyée, trop discursive" (Ariane Beauvillard dans Critikat)".
C'est le film de la semaine des inrocks, de Libé, de Critikat, Télérama adore, Le Monde s'en pourlèche et tout ça confirme gentiment ma première impression : il n'y a pas que Les Césars dans la vie, il y a aussi des amoureux(ses) du cinéma.
A Single Man
film américain (US) de Tom Ford (2008, 1h39)
distributeur : Mars Distribution
avec Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult, plus
Synopsis : Los Angeles, 1962. Depuis qu'il a perdu son compagnon Jim dans un accident, George Falconer, professeur d'université Britannique, se sent incapable d'envisager l'avenir. Solitaire malgré le soutien de son amie la belle Charley, elle-même confrontée à ses propres interrogations sur son futur, George ne peut imaginer qu'une série d'évènements vont l'amener à décider qu'il y a peut-être une vie après Jim.
Après Valérie Donzelli (qui a conçu les costumes de son film)), voici le film d'un costumier. Pardon, un couturier. Le fait que ce genre de type accepte de courir le risque de se faire tailler un costard par la critique est déjà un argument pour voir son film. La dialectique de Tom Ford selon laquelle, non il n'a pas fait un "film homo", ou alors Casablanca ou To Have or have not doivent être considérés comme des films hétéros, me plait bien, parce qu'il a raison. Et La Belle et la Bête alors ?
LA REPRISE
L'Enfance nue
film français de Maurice Pialat (1968, 1h23)
directeur photographie : Claude Beausoleil (directeur photo d'Agnès Varda pour Le Bonheur)
scénario et dialogues : Maurice Pialat
adaptation : Maurice Pialat et Arlette Langmann
produit par Claude Berri, François Truffaut, Véra Belmont et Mag Bodart
distribution : Tamasa
avec Raoul Billerey, Michel Tarrazon, Marie-Louise Thierry
Synopsis : Après plusieurs tentatives auprès de familles d'accueil, un gamin de l'Assistance publique trouve compréhension et réconfort auprès d'un vieux couple. Malheureusement il provoque un accident de la circulation. Il est envoyé dans un centre de redressement...
Lorsqu'après quelques courts, le plus souvent documentaires, il écrit et tourne un premier long-métrage, Maurice Pialat a 43 ans. Et c'est l'enfance qui l'a motivé, l'enfance que, selon lui, la Nouvelle vague n'a pas su filmer, pas plus que Claude Berri, quelques années plus tôt, dans l'émouvant (mais un peu conventionnel) Le vieil homme et l'enfant. Berri et Truffaut,peu rancuniers, soutiennent le film et le financent sur leurs propres deniers.
Autant ne pas hésiter avec les mots : L'enfance nue est un film magnifique, profondément vrai, humain, humaniste et donne au cinéma français un nouveau regard et une nouvelle manière de montrer. Ce film est un chef-d'oeuvre et l'une des plus belles réussites de Pialat (avec la "série télé" La maison des bois", filmée en 1970 et 1971 pour la télévision avec, à nouveau, le merveilleux Michel Tarrazon, puis A nos amours en 1983, avec la précieuse Sandrine Bonnaire dans son premier rôle).
Pialat traite un sujet dur, très dur et très mal interprété par le cinéma avant lui (qu'on songe au lamentable Chiens perdus sans colliers...) et il le fait sans pathos. Le film, Prix Jean Vigo 1969, a été primé également à Venise et à New-York. Il inaugure une filmographie d'exception.
Cette réédition sur grand écran est un cadeau qu'il faudra savoir goûter.
Pour en savoir plus :
le site de DVD Classik : CLIQUER ICI.
le site du Ciné-club de Caen : CLIQUER ICI.
le site Maurice Pialat : CLIQUER ICI.
L'IMAGE DE LA SEMAINE
François et Pépère dans L'enfance nue
FOCUS
Pas de Focus cette semaine. Allez au cinéma, voir des films surprenants, dérangeants ou pas, ambitieux, qui vous fassent du bien ou vous fassent réfléchir, ce qui n'est pas la même chose, osez le festival Western à l'Action Écoles, il y a des choses saisissantes, dégustez La reine des pommes, faites-vous peur dans Shutten Island en imaginant que Léo se transforme sous vos yeux révulsés en Cornillac...
Bonne semaine, bons films.