Le maquillage de comptes ou habillage légal de bilan ? Sous le feu des critiques pour leur responsabilité dans la crise financière, les banques de Wall Street, Goldman Sachs en particulier, sont au coeur d’un nouveau scandale. Cette fois, il ne s’agit plus de « subprimes », ces crédits hypothécaires explosifs vendus à des ménages modestes, mais de produits financiers sophistiqués proposés à des Etats endettés pour enjoliver leurs comptes.
Encore une fois, la Grèce est au coeur de cette affaire. Mais le pays est, semble-t-il, loin d’être le seul à avoir eu recours à des astuces financières conseillées par des banques de New York et de Londres. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie le Portugal ont, eux aussi, « optimisé » leurs comptes avec l’aide de Goldman Sachs, JP Morgan, Barclays ou encore « feu Lehman Brothers ».
Dans le cas grec, la très controversée Goldman Sachs aurait, selon la presse allemande et américaine, offert ses services à Athènes pour réduire, en 2001, ses déficits en utilisant des « swaps de devises ». Un outil qui permet de se protéger des effets de changes en transformant en euros la dette initialement émise en dollars et en yens.
« Légal ! », affirment les autorités grecques. Sauf que le taux de change utilisé ici aurait été exagérément favorable. Bilan de l’opération : 1 milliard d’euros de dette gommée pour le pays et 300 millions de commissions empochés par la banque.
« Ce serait une honte s’il s’avérait que les banques, qui nous ont déjà amenés au bord du précipice, ont également participé à la falsification des statistiques budgétaires de la Grèce », a réagi la chancelière allemande, Angela Merkel, mercredi 17 février.
La Grèce a-t-elle triché ? Peut-être, mais dans les faits, le savoir-faire des banques américaines a profité à de nombreux pays. « Il s’agit d’opérations naturelles, qui participent de la bonne gestion de la dette », assure un émetteur de dette souveraine en Europe. Les mécaniques sont variées. « Elles n’ont de limites que la créativité des financiers », indique un ancien haut responsable de banque.
L’Italie a fait partie des pays les plus friands de cette ingénierie financière. Le pays a notamment multiplié les opérations de titrisation de sa dette. Autrement dit, l’Etat a revendu au marché ses créances sous forme de titres financiers pour se débarrasser de sa dette. La Belgique, de son côté, a titrisé des arriérés fiscaux, se souvient un opérateur sur le marché de la dette : « C’était en 2006. »Le pays a ainsi évité d’emprunter de l’argent, faute d’avoir perçu à temps les sommes dues par les contribuables.
Certains Etats ont vendu de la dette indexée « sur un peu n’importe quoi », indique un opérateur de marché. Exemple : ces emprunts grecs émis en 2000, dont le remboursement des intérêts était adossé aux profits attendus de la loterie nationale !
« Quand on est « limite », on a forcément la tentation d’utiliser ces astuces-là pour essayer de réduire sa dette, commente René Defossez, stratège sur le marché des taux chez Natixis . Ce n’est pas très orthodoxe, mais ce n’est pas forcément contestable. »
La France n’a pas été pas absente du jeu. Le pays assure n’avoir jamais eu recours aux services de Goldman Sachs. « Nous ne faisons sans doute pas d’opérations assez « funky’’sur la dette française », indique-t-on au Trésor.
Mais jusqu’en 2002, le pays a utilisé des outils financiers complexes de couverture (des « swaps de taux ») pour modifier les échéances de remboursements de sa créance. A première vue, grâce à ces artifices, tout le monde est gagnant. « Pour les Etats, ces opérations permettent de reporter la dette à plus tard. Et pour les banques, ce sont des promesses de marges juteuses », indique Emmanuel Fruchard, consultant en risques financiers. Les établissements empocheraient en moyenne 1 % voire plus des montants de dettes émis.
Sur ce « marché », les banques anglo-saxonnes ont été particulièrement actives et recherchées. Du fait de leur savoir-faire, mais aussi « en faisant miroiter un accès direct à des investisseursétrangers comme des fonds de pensions », indique l’économiste Philippe Brossard, de l’agence Macrorama. Pour lui, « fignoler » de la sorte la structure des déficits publics n’est pas sans risque. Si l’Etat semble gagnant à court terme, il peut être contraint par la banque à rembourser des intérêts beaucoup plus lourds à long terme. Le New York Times raconte ainsi que le ministre grec des finances avait dénoncé, en 2005, l’opération de Goldman Sachs, se plaignant du fait que l’Etat devait rembourser de grosses sommes à la banque américaine jusqu’en… 2019. « En utilisant des outils sophistiqués, les Etats se rendent dépendants des banques, ajoute M. Brossard. Certains avaient traité avec Lehman Brothers et se sont inquiétés lorsque l’établissement a fait faillite. »
Conscient du danger, Eurostat, l’institut européen de statistiques, censé valider ces opérations, a mis en 2008 le holà à certaines pratiques, en déconseillant, notamment le recours à la titrisation.
Est-ce assez ? Pour Michel Sapin, ancien ministre français des finances et secrétaire national du Parti socialiste à l’économie, « une régulation plus contraignante est absolument nécessaire sur le marché. D’autant plus qu’il s’agit ici de la signature d’un Etat ».
Claire Gatinois et Marie de Vergès
Source : LE MONDE du 19.02.10