Ce récit est la suite de "Epreuve de prématurité 2" et relate la rencontre avec ma fille ainée (d'une minute).
Retrouver Diane ne fut pas aussi féerique que rencontrer Agnès. Rencontrer Agnès, c’était rencontrer un petit bébé qui n’a besoin que de grossir. En revanche, rencontrer Diane, c’est rencontre un bébé prématuré avec tous ses problèmes.
Ce petit bébé me fait peur. Son poids est bien inférieur à celui d’Agnès et elle n’a rien du bébé replet. Sa poitrine se creuse à chaque inspiration comme le ferait le ventre d’une carpe que l’on expose à l’air. Son visage, ses membres sont très fins. Elle a des petits yeux vifs qui scrutent tout et je la sens me questionner sur les raisons de sa présence dans cet endroit. L’état de mon petit bébé me faire sentir tout le poids de la culpabilité latente que j’ai tenté d’étouffer pendant mon hospitalisation. Voilà le résultat de mon abandon, voilà les effets de mon activité pendant ma grossesse, voilà ce qu’a provoqué mon col lâche, mon corps vaurien, incapable de tenir jusqu’au terme. Son regard me fixe et me cloue au pilori. Je me sens indigne en constatant que ce regard porte des cernes que j’imagine causées par la douleur et la colère. Ma chérie, comme je suis désolée que tu commences ta vie par une lutte contre ton corps ! Moi qui voulais faire de toi une reine, en étant la plus choyée et la plus aimée… Au lieu de ça, je t’offre un combat contre tes poumons encore immatures… Car Diane est en train de se battre, nous le voyons tous. Elle est très agitée, tape contre les vitres de la couveuse et crie autant que ses courtes forces lui permettent. Elle se tortille avec vigueur pour se débarrasser de la cipap qui l’enmerde clairement. Les puéricultrices n’ont d’autres choix que de lui ôter. Et c’est alors que je vois ma fille s’épuiser en train de lutter pour respirer seule. Dur combat qu’elle tente de mener aussi longtemps que possible jusqu’à ce que les alarmes sonnent… Et puis, elle se résigne et accepte de se tenir tranquille pendant qu’on lui repose la cipap. Elle a le visage fermée pour reprendre ce souffle vital qui ne cesse de lui échapper. Ça me démonte comme vivre un cauchemar toutes les minutes.
Lors de ces crises, je ne sais que faire, que dire, je n’ose pas m’approcher d’elle, j’ai peur de lui faire plus de mal que de bien. J’ai honte, je regarde Agnès, tout en ayant mon esprit enchaîné aux cris de Diane. J’ai encore plus honte. Un jour, mon mari m’a engueulé car il ne comprenait pas pourquoi je ne m’approchais pas d’elle lorsqu’elle hurlait. Je ne savais pas quoi dire. Je me sentais comme une vielle m*** de chien.
Le protocole à suivre pour l’avoir contre nous est bien plus lourd que pour Agnès ; masque, charlotte et encore plus de précaution pour se désinfecter les mains à cause de son cathéter. Celui-ci est relié à son cœur et si nous lui transmettons des bactéries, c’est direct au centre de son être. Cela me fait peur. Je suis conditionnée par cet impératif de propreté qui participent à mes craintes d’ouvrir la couveuse pour la toucher.
Je tremble de la casser si je la prends dans mes bras. Je crains que ces minutes de bonheur pour moi ne soit qu’une épreuve de plus pour elle. Elle doit toujours rester reliée aux appareils de contrôle pour que l’on puisse suivre ses signes vitaux. De même, son cathéter ne lui permet pas de prendre de bain ni de s’éloigner trop loin de sa couveuse. Nos rencontres sont donc comme chronométrées par les appareils de surveillance qui sonnent la fin de nos échanges avec leurs alarmes stridentes et les agitations des puéricultrices qui disent : « ça suffit pour elle, elle commence à se fatiguer, il faut la remettre sous assistance respiratoire ». Ce moment de bonheur pour moi, pendant lequel nous avons fait du peau à peau, pendant lequel je lui parlais n’avait-il été pour elle qu’un combat perdu d’avance contre sa prématurité ?
Je ne cesse de questionner à ce sujet les puéricultrices qui m’assurent que Diane apprécie les contacts et en a besoin pour avoir envie de vivre.
Au fil des jours, je vais apprendre à « être » avec Diane. Je vais apprendre à dompter ma peur de ce petit bébé qui a grandement besoin de moi. Je lui réserverai toutes mes matinées pendant lesquelles je lui ferai sa toilette dans la couveuse, puis nous ferons du peau à peau et j’essayerai enfin de la nourrir au sein. Parfois, la puéricultrice me dit que Diane a besoin de se reposer ce matin car elle n’a pas voulu de sa cipap pendant plusieurs heures. Et qu’elle est maintenant exténuée. D’autres fois, on me dit au contraire que Diane a bien accepté sa cipap comme pour être en forme ce matin et profiter pleinement de ma visite.
Je crois avoir une relation bien particulière avec elle car elle m’a transmit une petite leçon : les choses ne sont pas difficiles à faire, ce qui est difficile, c’est de nous mettre en état de les faire.
Je t’aime ma chérie titino.