Quelle belle surprise que ce long métrage de Djinn (Ong Lay Jin), Perth (2004), dernier film de Singapour projeté dans le cycle. Une œuvre noir et dure qui montre la dualité d’un homme à travers ces principes et ces désillusions.
Harry Lee fait partie d’une génération sacrifiée qui n’a pas su surfer sur l’explosion de l’économie de Singapour. Il a un rêve : partir vivre à Perth. En attendant, il se fait virer de son boulot de gardien de sécurité de port et devient chauffeur de taxi avec un ami de longue date, Selvam. Angry Boy Lee, une connaissance leur propose de gagner un peu plus d’argent en devenant les chauffeurs de prostituées. La vie d’Harry va prendre un tournant lorsqu’il s’affectionnera de Mai, une prostituée vietnamienne. Il se met en tête de la sortir de ce cercle vicieux…
Perth est le portrait d’un homme qui est allé de désillusions en désillusions, s’accrochant et regrettant un passé qui lui prédisait un futur bien plus reluisant. Harry Lee est cet humain enfermé dans des principes qui le hante, la fidélité et la loyauté, des mots qui ne cessera de ressasser, des mots qu’il porte comme pour se rassurer qu’un monde plus beau auraient fait de lui un homme différent. Pour palier à ces désillusions, Harry s’impose, se créer un rêve, un but, qui lui permet de se dire « je vis pour quelque chose », celui de s’installer à Perth. Voilà encore une obsession, tout comme ces principes, qu’il ressasse…
Djinn dépeint très justement et avec force le portrait de cet homme désabusé, déchu et solitaire. Il parvient à donner une dimension particulière à son personnage que l’on a souvent envie de détester par ces actes et sa façon d’agir mais qui est au final touchant et attachant. Pourquoi ressentons cela ? C’est la question que je me suis posée en regardant le film. Pourquoi ne pas détester cet homme et ces excès de folie, cet homme hanté par des principes qu’il ne respecte pas lui même… Parce qu’il est profondément humain et nous renvoie une image de la complexité et la dualité de chacun d’entre nous. Voilà ce qui touche dans ce portrait. C’est son réalisme fascinant qui nous fait dire « Tiens ça aurait pu être moi ».
Perth, c’est aussi la montée en puissance d’une violence iconoclaste qui s’exprime dans une dernière partie noire s’inscrivant dans l’éternelle désillusion d’Harry. Un sentiment de trahison (allant contre son principe de loyauté) qui le mène dans une spirale de violences psychotiques, alimentée par un traumatisme qui le ronge de l’intérieur. Une extériorisation meurtrière d’une souffrance enfouie sur le chemin d’une oraison funèbre dénotant une folie passagère à la fois désenchanté, triste et brutale. Un fait divers sombre parmi tant d’autre, l’acte fou d’un homme simple qu’on oubliera avec le temps qui passe et puis… la vie continue.
On apprécie les qualités d’écriture qui font de Perth un grand film, à la fois profond et sensible. Le cinéaste Djinn fait aussi preuve d’une belle maîtrise technique en nous offrant des plans originaux et des images dont le grain et la lumière sont d’un esthétisme certain.
Le casting n’est pas en reste puisqu’il nous offre deux gueules et talents du cinéma Singapourien : Kay Tong Lim (que l’on retrouve dans Forever Fever, Army Daze ou encore Mee Pok Man) et Sunny Pang (Call If You Need Me, Lucky 7).
Perth est un film coup de poing. Une œuvre profonde qui ne laisse pas indemne car dérangeante. Un reflet lucide et sombre sur la nature humaine qui transperce et touche avec force et violence.
Diana & I.D