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Anthologie permanente : François de Cornière

Par Florence Trocmé

LIQUIDATION
  
parfois on recherche un poème
pour une phrase
qu’on a lue on ne sait plus quand
mais qui revient – pourquoi –
à la mémoire
à cause peut-être d’une impression
pareille à celles qui font croire
qu’on a déjà vécu ce moment-là
alors on feuillette des livres
on s’arrête sur des mots des images
et on s’aperçoit qu’au fond
on n’a jamais rien lu
ou plutôt que c’est jamais fini la poésie
quand bien même on passe des nuits
à courir le long des rails
pour rattraper ce qui s’en va
comme un jour on s’arrête
devant une boutique de souvenirs
avant la saison sur la côte
pour une pancarte en lettres bâtons
qui dit que Tout doit disparaître
  
*
  
COMBINAISON
  
au fond c’est le silence
au téléphone entre les mots
qui compte
comme un battement
du cœur de l’autre
une montre la nuit
qui fait du bruit
contre lesquels on ne peut rien
on sent que tout est loin
trop loin parti
qu’une fois en ligne
tout est perdu
alors on fait comme si
tout était simple en évidence
on parle de choses et d’autres
on remplit les vides
mais le silence
entre les mots
dans un poème au téléphone
et ce mot combiné
qu’on utilise dans les notices
et qu’on reprend
et qu’on détourne
montre qu’on n’est pas dupe
que tout s’entend trop bien
avec le fil de l’appareil
qui s’entortille et fait des nœuds
quand on raccroche
  
François de Cornière, Tout doit disparaître, Le dé bleu, 1984, repris dans C’était quand ?, Le dé bleu, 1999, pp. 52 et 94.
  
*
  
TOUT REPRENDRE
  
Quand nous revenons
dans la maison d’Ardèche
il faut tout reprendre.
  
Arracher scier couper
ronces branches genêts
soulever porter déplacer
pierres planches meubles
dégager les accès les abords
se battre contre le temps.
  
C’est un peu tout reprendre
des jours passés ici.
Les mois font les années
les années font la vie
et puis la vie la mort
et puis la mort la vie.
  
(Les enfants ne savaient pas marcher
ils se sont lâchés ils sont tombés
ils ont couru sur le chemin
leurs corps ont dépassé nos corps.
  
Sous une couche de graviers
retenus par des pierres
– ramassées en chemin –
la tombe de leur grand-père
regarde la montagne.)
  
Et ce qui se passe ici
entre les feuilles dans le ciel
le vent ou au fond du ravin
nous le reprenons.
  
Comme si c’était possible
de nous reprendre avec.
  
*
  
ENTRE VOUS ET MOI
  
Walt Whitman
parlant du « terrible doute des apparences »
pensait-il à ce que nous devenons
une fois venu le temps
de l’éloignement du temps ?
  
Ces silhouettes qui marchaient
un hiver en plein vent
sur une digue de la mer
ou ces formes qui attendaient
assises sur les marches
que la lune se cache
une nuit américaine
je les revois encore.
  
Mais le temps a passé
de l’autre côté de vous
et des pages ont tourné
laissant dans des poèmes
des apparences poursuivre leur chemin.
  
Les mots – je sais –
qui sont des apparences aussi
quand j’écris aujourd’hui que
« nous ne sommes plus nous ».
  
François de Cornières, Tout cela, Le dé bleu, 1992, repris dans C’était quand ?, pp. 38 et 101.
  
*
  
COUCOU DE L’AUTRE RIVE
  
Je l’entendais souvent.
Je m’arrêtais pour l’écouter
et deviner où il était.
Je me disais qu’il me suivait
pendant que je pêchais.
  
Un jour je l’ai vu.
Entre les feuilles légères
des peupliers de l’autre rive
sa voix s’est détachée d’une branche :
d’un seul trait je l’ai vu.
  
L’espace qu’il a ouvert
appartient aux deux notes de son nom
mais sa voix m’accompagne depuis
sur l’autre rive du Grand Canal
où tremblent à l’horizon
les noires menaces du monde.
  
*
  
COMMUNICATION POÉTIQUE
  
J’y étais allé :
« Module de Communication Poétique ».
  
Dans la salle
des instituteurs
des élèves-professeurs
des enseignants
des tonnes de pédagogie.
  
Ils ont lu des poèmes de leur choix.
  
Beaucoup de comptines
de poèmes pour enfants
ou de mots OuLiPo.
  
Par la fenêtre je voyais le ciel
de très beaux nuages
et les arbres penchaient
sous ce mouvement du monde
absent de leurs lectures.
  
Dans leur bibliothèque
j’avais pris un livre de Ramuz
pour une page manuscrite
« Toujours écrire des poèmes
animer l’air la terre et l’eau
– mêler les choses au hommes ».
  
Il n’avait jamais été emprunté.
  
François de Cornière, C’était quand, Le dé bleu, 1999, pp. 114 et 126
  
par Jean-Pascal Dubost
  
Bio-bibliographie de François de Cornière
  
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