Métropole créative : l’association de ces termes peut sembler étrange. La métropole renvoie à une agglomération d’individus, d’habitations, d’emplois, de flux de transports, une espèce de brouhaha dynamique, mais dont le nom évoque beaucoup plus l’usine que l’atelier d’artiste. Et cette métropole serait appelée à devenir créative? On ferme les yeux, on se répète ces mots, et on se laisse envahir par des images de ville futuriste…
Thomas Paris est Chercheur au CNRS (GREGHEC), chercheur associé au CRG Ecole Polytechnique, professeur affilié HEC.
Les nombreuses villes qui ont fait le pari de la ville ou de la métropole créative ne sont pourtant pas dans la science-fiction. Elles voient derrière ce concept des réponses à des problématiques très concrètes. Problématique de régénération urbaine, d’abord: certaines villes sinistrées ont réussi à se réinventer, à modifier leur image et leur équation économique, en misant sur la culture et la création, via un musée, comme Bilbao, via une industrie, comme le jeu vidéo à Montréal. La problématique économique en est une autre, tout en étant liée à la précédente: par les industries de la création, ou par la création plus généralement, une ville peut être le berceau d’un renouveau économique. Ce peut être encore des problématiques d’image et d’attractivité, à l’heure où les grandes métropoles seraient rentrées dans une concurrence mondiale pour attirer les entreprises, mais aussi les talents, ceux que Richard Florida appelle la classe créative, et qui vont s’avérer de plus en plus décisifs pour le dynamisme d’un territoire.
Cette idée de territoire créatif soulève deux questions importantes. La première est celle du rôle que peut avoir effectivement le territoire sur le dynamisme d’un secteur de création (la mode, le design, l’audiovisuel, la musique, la publicité, l’architecture, le multimédia, l’édition…), ou, plus généralement, pour proposer un environnement fertile à la créativité, tous secteurs confondus. La réponse à cette première question n’est pas simple ; l’analyse de quelques exemples de territoires créatifs met en évidence à la fois un rôle important des clusters - ces regroupements industriels - et une ambivalence quant à la place du territoire à proprement parler. Autrement dit, si un certain nombre de mécanismes expliquent que les entreprises, notamment dans ce type d’industries, aient intérêt à se regrouper, l’ “élection” d’un territoire en particulier pour ce type de regroupement s’explique moins bien.
Cela soulève la seconde question, celle du rôle des pouvoirs publics pour forger un territoire créatif. Il y a certes un certain nombre d’éléments-clés: la qualité de vie, la diversité portée par l’agglomération, les infrastructures, la présence de formations de qualité… Mais pour le reste, l’engouement qui peut se créer autour d’une métropole à un moment donné repose sur une alchimie subtile entre ce qu’il y a de réel et ce qu’il y a de perçu dans la capacité de la ville à porter la créativité et entre des facteurs “hard” tels que des infrastructures et des facteurs plus “soft” comme une ambiance, un état d’esprit (voir Devenir le territoire le plus innovant du monde ?).
Si disposer des différents éléments constitutifs de cette alchimie semble une nécessité pour les villes qui aspirent au dynamisme par la créativité, cela n’en constituera pas pour autant une garantie. Au delà de son sens le plus immédiat, la notion de métropole créative traduit peut-être le rôle renouvelé que vont prendre les territoires et les politiques territoriales dans l’économie de la connaissance. La métropole créative est peut-être finalement la métropole qui a su mettre en place un terreau fertile.
Par Thomas Paris, auteur de « Les métropoles créatives » Prospective et Entreprise n° 9