Parlons de choses essentielles et substantielles en ces temps troubles et obscurs où l'on ne cesse de diffamer son prochain pour son passé de délinquant (de préférence si l'on est noir de peau) et de réclamer la preuve d'une identité nationale plus qu'hypothétique.
Une chose me fascine profondément depuis toujours : les affiches du salon de l'agriculture. Cela tient à mon goût pour la terre qui ne ment pas (comme le disait je ne sais plus qui) et à mes racines profondément enfouies dans la patrie de Maurice Barrès, telle la carotte ou la pomme de terre que l'on récolte après l'avoir arrachée.
L'affiche du salon de l'agriculture est un genre en soi dans la catégorie des montages photoshopés. D'abord, il faut une vache. Il serait inadmissible que le salon ne soit pas représenté seulement par une vache. Eleveurs de porcs, de chèvres, d'ânes, de chevaux, de moutons, de poulets, d'oies, de dindes, de canards, de pintades, passez votre chemin ! Seule la vache est suffisamment digne pour représenter le monde agricole. Depuis dix ans au moins, si ce n'est plus, le salon de l'agriculture nous donne une image de vache comme figure symbolique de l'agriculture. Moi, je veux bien... Une vache, c'est sympathique, mais enfin c'est un peu réducteur à la longue, parce qu'il n'y a pas que le lait, le fromage, le fourrage et la viande.
L'an passé, nous avions droit à une Holstein particulièrement horrible par son absence de cornes, sa traçabilité et son aspect fortement photoshopé (il faut dire que la Holstein n'est jamais à son avantage, même si on la laisse gambader dans les prés en toute liberté). Que voyons-nous cette année ? Le retour à la nature, avec un grand N, et aux valeurs avec un grand V ! Une Salers ! Une vache purement française, bien de chez nous (même si des médisants la trouve dans des pays estrangers). Là, c'est de la vraie vache, du bestiau à cornes que l'on aimerait bien manger. Regardez comme elle vous examine d'un oeil attendri, vous qui serez son consommateur. Elle vous aime déjà et s'imagine que vous l'apprécierez dans votre assiette.
Seulement, il y a quelques petits problèmes publicitaires. Que fait une tête de vache totalement détachée d'un corps au milieu de nulle part ? On croirait la Vache qui rit. Que veut dire cette colline arrondie artificiellement et qui correspond plus au dessin d'une mamelle humaine qu'à une éminence terrestre ? C'est bizarre, on a affaire au même vert que dans l'affiche de campagne de notre admirable président pour figurer le paysage dans lequel il voulait montrer qu'il figurait la France. Comment se fait-il que le vert des prés ressemble à du gazon anglais et que toute l'image soit saturée des diverses sortes de verts ? Et que vient faire ce slogan nouveau "Au plus près des terroirs" alors qu'il n'y avait jamais eu de slogan auparavant et que l'inscription semble calquée sur celle des lettres de Hollywood au dessus de Los Angelès ? Pourquoi le terroir maintenant ? Et surtout à la mode étatsunienne ?
Il y a là une forme de sens du terroir qui me laisse plus que dubitatif. On veut faire vert, authentique, proche des gens, proche des provinciaux et on fabrique de l'artifice complet.