En innovation, il existe bien des dichotomies : innovation incrémentale, innovation de rupture, innovation amont, management de l'innovation, innovation en aval, innovation produit, innovation service... Cette habitude, à mon sens, nuit fortement à l'approche de l'innovation. S'il est nécessaire de savoir à quoi correspond chaque vocable, cela concentre en général la réflexion à un domaine sans tenir compte d'un contexte.
Ainsi, beaucoup d'entreprises souhaitent-elles se positionner du jour au lendemain avec des produits de rupture sur un marché en oubliant d'analyser leur portefeuille produits. Très concrètement (et par expérience), ces fameuses innovations de rupture naissent souvent (dans les entreprises d'une certaine taille) d'une double mise en perspective de l'existant et de questionnements très structurés sur ce qui pourrait être.
Autre exemple, réflechir uniquement sur l'aval ("comment améliorer mes ventes" par exemple), revient souvent à reposer :
- les questions de l'amont ("quelle proposition de valeur différenciante sur ce nouveau concept"),
- ou du management du portefeuille produits ("mon portefeuille produits a-t-il une segmentation usages comprise et valorisée par mes clients plutôt que technologie" ...).
Il est néanmoins toujours possible de développer des solutions créatives et innovantes pour résoudre le problème sans changer le produit en tant que tel (une campagne de pub géniale...) mais, pour que la solution soit pérenne, il y a de fortes chances pour que vous soyez repassé par la case "proposition de valeur".
La dichotomie qui m'intéresse aujourd'hui est celle qui oppose innovation produit / innovation service. Il est vrai que l'une tient du domaine du tangible tandis que l'autre de l'intangible.
L'innovation produit s'est longtemps peu souciée du service qu'elle apportait à ses clients au travers du produit, tandis que les services convoitaient la capacité des industriels à proposer une valeur ajoutée qui se voit et à posséder des centres de R&D, des brevets (tandis que la recherche dans les services était souvent jaugée à l'aune de ses capacités IT).
Et pourtant. Que s'est-il passé ? Les produits qui réussissent le mieux sur un marché reposent sur l'unicité de leur proposition de valeur et leur définition : des "provices" ou "produits-systèmes". Ce sont des offres qui combinent habilement les deux mondes et sont plus difficiles à copier. Les exemples types sont L'Ipod (équipement + plateforme de téléchargement) , l'Iphone (même modèle), Machines Nespresso (équipement + café haut de gamme délivré via réseau haut de gamme en dur ou par interne) etc. Tandis que les services proposaient toujours plus...de services tout en essayant de les matérialiser, de les réifier, notamment grâce aux cartes de paiement ou de fidélité, à l'apparition du pack (assurance par exemple), du contrat (de confiance) etc.
Ces provices appartiennent-ils vraiment au domaine de l'innovation des services ? Pourquoi tant d'engouement autour de cette notion, de cette nouvelle science des services avec ses méthodologies propres ?
La synthèse réalisée par l'agence 31Volts (spécialisée dans le design de services) "L'innovation est servie" / "Innovation is served" et amendée par le ministère de l'économie hollandais est censée donner les clés : une économie de services (70% de l'économie seraient tirés par ce secteur) qui nécessite de nouvelles approches et méthodes :
The reason why service innovation is getting more and more attention lately is the fact that business is changing as never before. The growth of the service economy has been accelerated by the profound changes in capability brought to us in the current information age. This has led to new customer demands and expectations that organizations have to deliver upon. Customers are becoming the main reference point for your strategy, not your direct competition. Delivering successful service innovations requires going beyond traditional innovation methods and mindsets. Organizations need to reallocate resources from pure science-based technology innovations to include more social research in order to understand user contexts and motivations. They need to employ more design thinking and design methods that already have proven to deliver valuable solutions in many other fields. It’s crucial to invest in change management as part of every service development program because unlike in manufacturing businesses, the collection of people, processes, and systems [...]
Cette étude définit le service, voir page 8, comme ce qui est vraiment intangible : services publics, santé etc. L'intérêt du document réside principalement dans la description des étapes concrètes de l'élaboration d'un nouveau service (voir résumé des étapes ci-dessous) :
Là où je ne suis pas d'accord c'est quand, après avoir présenté la bataille d'experts pour définir ce qu'est l'innovation de services, l'auteur finit par nous en donner une par défaut : "l'innovation de services s'intéresse aux gens, tandis que les produits améliorent... les produits" [page 13].
There is a fundamental difference between services and products.For products profitable innovation happens on the production side. But a service takes place at the time it is offered. This is challenging for a business or organization to handle. Several entries describe precisely this challenge as a great opportunity to distinguish yourself, a chance to compete. People! That is the difference that makes innovation in services so exciting. Product innovations improve a product, but service innovation is about people.
Effectivement, un produit n'est pas un service, mais ce qui fait converger l'innovation dans ces deux domaines aujourd'hui, ce sont la notion de client, d'expérience client et de nouvelles compétences à développer.
- La prise en compte du client et sa définition :
Un client, c'est un usager, externe ou interne à l'entreprise, une personne qui est en contact avec votre entreprise. En interne quand elle utilise le système informatique, en externe quand elle se connecte sur votre site pour chercher de l'information. - La chaîne de valeur
Un client, les clients portent différents "masques" ou changent de posture selon la relation d'intimité qu'ils ont avec votre entreprise ou une administration : celui qui veut connaître votre offre, celui qui l'utilise, celui qui l'achète, celui qui la recommande, celui qui réclame... - L'architecture de l'offre à déployer en fonction des différents clients.
Comment penser à la fois le service rendu et les différentes occasions d'usages ? Sans parler des autres dimensions à intégrer comme les notions durables, la rentabilité etc.
Certains appellent cette convergence le "design thinking", selon moi il s'agit surtout d'accepter de nouveaux requestionnements, qui eux-mêmes produiront de nouvelles analyses puis de nouvelles solutions plus intelligentes et pertinentes.
En conclusion, le débat sur l'innovation des services a selon moi l'intérêt d'obliger les secteurs industriels à se remettre en question sur leurs approches, d'inciter à repenser des formations essentiellement conçues dans des contextes d'économie de produits et, enfin, à faire avancer les méthodes pour innover.
Alors vive le débat et vive le changement !
Pour aller plus loin sur l'innovation de service :
"Succeeding through service innovation : A service perspective for education, research, business and government" - University of Cambridge.
Chaire Essec - ISIS : Institute for Service Innovation & strategy
Pôle Nékoé - Pôle d'Innovation par les services
Les 1ères rencontres de l'innovation dans les services le 12 mars à Grenoble organisées par l'itSMF.
Pour aller plus loin sur les requestionnemments, je vous conseille vivement la lecture de Switch. Ce livre parle surtout de changement et comment faire changer les gens. Mais son analyse des questionnements existants est tout simplement excellente. C'est d'une intelligence éblouissante.
Bon week-end !
Image : rapport Innovation is served