La problématique des tentesPar Frantz Duval
Il faut une vision claire et cohérente des abris provisoires comme de la reconstruction. Celui qui parle, c'est Charles Clermont, ingénieur, professeur d'université, financier, ancien directeur général de la SOGEBANK, la plus importante banque du pays, conseiller du président Préval et responsable de la Commission abris provisoires et relocalisation. L'attente des tentes prend une autre tournure et rien n'est simple.
« Il n'y a pas assez d'espaces libres pour monter 200 000 tentes dans la région métropolitaine de Port-au-Prince.» La phrase tombe comme un couperet. L'argument est définitif, c'est un ingénieur qui parle avec assurance. Le débit particulier de l'ancien professeur Charles Clermont, rend le verdict sans appel.
« Tous les organismes qui travaillent sur le terrain savent que les tentes ne sont pas la solution. Il n'y a pas assez de places à l'air libre pour créer asses de villages. C'est une question de surface », assène le responsable de la Commission abris provisoires et relocalisation adoubé par le président René Préval après le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
Le financier que Charles Clermont est devenu au fil des années a aussi un autre argument : les tentes sont chères. Très chères. Pour une protection toute relative. Bon marché, elles ne protègent pas du soleil. Même chères, la pluie, le vent et l'usage en arrivent à bout très vite.
« Les tentes prennent de la place, sont chères (entre 800 et 1600 dollars US, les meilleures) et durent peu. Nous auront à abriter des familles entre trois et cinq ans, on doit penser dès maintenant à des abris provisoires et progressivement aller vers le définitif. Pour le moment la solution serait de donner, par famille, 40 mètres carrés de bâches en pastique, qui ne coûtent pas cher, mais protègent bien, et passer ensuite à des shelter kit (entre 800 et 1400 dollars US) qui proposent des feuilles de tôle ondulées, des poteaux et ce qu'il faut pour construire un vrai abri », croit l'ingénieur-banquier Charles Clermont.
« Cela nous donnera le temps de trouver où et comment reconstruire. Car le dilemme est de reloger les gens : où faut-il le faire ? Sur quelle base et comment ? se demande Clermont qui travaille sur la question sans répit depuis la mise en place de la Commission avec des experts haïtiens et étrangers.
Des échantillonnages, confie-t-il, laissent découvrir que là où vivent aujourd'hui les sans-abris n'est pas obligatoirement là où ils habitaient avant. Par manque de terrains vides, beaucoup de ceux qui sont au Champ de Mars, par exemple, habitaient au haut de Turgeau ou à Carrefour-Feuilles. Souvent, ils ont abandonné des maisons qui ne leur appartenaient pas et les propriétaires des lieux, des terrains qui n'étaient pas à eux. Comment reconstruire dans de telles circonstances ?
« Cela va prendre du temps », craint Clermont.
Pour le moment, près de 500 mille bâches et 50 mille tentes sont en commande et les réflexions continuent pour s'assurer que l'aide ira au bénéficiaire final. Entre les statistiques des ONG et celles de la Protection civile, l'organisme public chargé de contrôler les sans-abris et de se préoccuper de leur sort, il y a des disparités énormes. Dans le grand Port-au-Prince, il y aurait entre 315 regroupements spontanés et 900, d'une source à l'autre.
La vérité est entre les deux statistiques, estime Clermont.
Quand on sait que 98 % de l'aide distribuée passe par les ONG, cela a toute son importance.
« Il y a des endroits où, pour des raisons de sécurité, les ONG ne vont pas et il y a des camps, plus médiatiques que d'autres, qui attirent toute l'attention. Il y a un gros travail de coordination qui se fait et, depuis deux semaines, des réunions se tiennent. Nous travaillons tous, acteurs locaux et intervenants de l'assistance internationale, à rapprocher nos données.»
Cela va prendre du temps, mais, il ne faut pas oublier que le tremblement de terre du 12 janvier a provoqué « la plus grande catastrophe humanitaire de tous les temps », estime les Nations Unies.
Même la démolition des maisons et édifices endommagés ou effondrés n'est pas une tâche aisée. Le pays ne dispose pas assez de matériels pour le faire dans un laps de temps raisonnable. Il faudra faire appel à des compagnies étrangères spécialisées qui ont les équipements et le savoir-faire pour démolir certains bâtiments.
« Il nous faudra de la patience et une vision cohérente de la démolition. A qui appartiennent les déblais qui ont une valeur ? Où va-t-on les mettre ? Que peut-on récupérer ? Autant de questions qui donnent du fil à retordre à la Commission.
Le soir de l'entretien téléphonique, le temps était à la pluie. Qu'en pensez-vous Monsieur le responsable de la Commission ? lui a demandé Le Nouvelliste.
« Ce n'est pas la pluie qui ne fait peur. Bien sûr, j'ai le cœur lourd en pensant à ceux qui vont dormir sous la menace des eaux, mais je crains encore plus les ravages que les égouts non curés peuvent provoquer et des inondations les tentes ne nous protégeront pas. Beaucoup d'exutoires du réseau de drainage de Port-au-Prince sont obstrués et la saison des cyclones arrive. Voilà ma plus grande peur et ma préoccupation. Les services compétents sont à l'œuvre pour éviter d'autres drames dans la catastrophe», a conclu Charles Clermont.
Frantz Duval