L’intérêt de la loi « démocratie sociale et temps de travail » du 20 août 2008, par-delà les réformes d’envergure mises en œuvre, est de nous faire redécouvrir nos petites juridictions de banlieue ou de province, bousculées par la réforme de la carte judiciaire. En effet, le jeu des compétences respectives des Conseils de Prud’hommes, des Tribunaux de grande instance et des Tribunaux d’instance en matière sociale placent ces derniers, juges des élections dans l’entreprise et de la désignation du délégué syndical ou du représentant de la section syndicale, en première ligne dans l’interprétation de la loi. Il en va ainsi du Tribunal d’instance de Brest déclarant, il y a quelques mois, le texte contraire au droit européen et international alors même que les Tribunaux d’instance d’Annecy et de Niort affirment, depuis, le contraire.
Dernier exemple en date : le jugement du 11 février 2010 rendu par la Tribunal d’instance de Boissy Saint Léger (RG n° 11-09-0012500). L’affaire est simple : le syndicat du Commerce et des Industries de l’Alimentation de la région parisienne (SCIAL), adhérent de la Confédération Nationale du Travail (CNT), désigne un salarié en qualité de représentant de la section syndicale au sein d’une entreprise. L’employeur, soutenu par un syndicat concurrent (FO), conteste cette désignation et en demande l’annulation arguant, notamment, que le syndicat en cause ne respecte pas les valeurs républicaines, condition sine qua non conformément à l’article L 2142-1 du Code du travail relatif à la section syndicale.
Rappelant que selon les premières décisions de la Cour de cassation (Soc. 8 juillet 2009), il revient à l’employeur de fournir les éléments établissant en quoi le syndicat ne satisferait pas à cette condition, les juges relèvent que l’article 4 des statuts du SCIAL envisage « la formation et l’organisation des travailleurs pour l’abolition de l’Etat » et préconise « l’action directe, une forme de lutte décidée, mise en œuvre et gérée directement par les personnes concernées », fidèle en cela aux orientations de la Charte d’Amiens (1906). Celles-ci sont-elles compatibles avec les valeurs de la République ?
Les juges de Boissy Saint léger vont répondre par l’affirmative à cette question, retenant que les engagements du syndicat participent d’une action revendicative propre à l’action syndicale. On ne peut certes nier que le syndicalisme a une telle vocation même si l’on peut légitiment s’interroger sur l’articulation respect des valeurs de la République / abolition de l’Etat…
Une décision regrettable sur la méthode
Un point en revanche prête facilement à critique : l’argumentation utilisée par les juges pour arriver à cette conclusion. Ils soulignent, à juste titre, que la définition des valeurs républicaines doit être recherchée dans les textes fondamentaux de notre droit : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Préambule de la Constitution de 1946, Constitution de 1958 et Charte de l’environnement de 2004. Sur ce point, la doctrine est unanimement d’accord. Pourquoi alors ignorer ces textes pour fonder la décision sur la Charte d’Amiens, texte hautement historique s’il en est en droit du travail mais… dénué de toute valeur juridique ? L’objet du litige n’était-il pas justement de vérifier que le SCIAL est respectueux de nos textes fondamentaux, et donc, indirectement, que la Charte d’Amiens sur laquelle il s’appuie n’y est pas contraire ?
Dès lors, une crainte me vient à l’esprit : les juges ne se seraient-ils pas laisser abuser par internet ! Si l’on tape dans un moteur de rechercher « charte d’Amiens », la notice Wikipédia sort la première. Celle-ci indique : « La charte adoptée en octobre 1906 par la CGT et connue à partir de 1912 sous le nom de Charte d’Amiens reste la référence théorique du syndicalisme en France [...] La Charte assigne au syndicalisme un double objectif et une exigence : la défense des revendications immédiates et quotidiennes, et la lutte pour une transformation d’ensemble de la société en toute indépendance des partis politiques et de l’État. » Or, ces formules sont reproduites in extenso dans le jugement.
Deux possibilités : soit il s’agit d’une facilité technique pour les rédacteurs de la décision qui avaient choisi, étonnamment, de s’appuyer sur ce texte, et l’on ne pourra que le regretter rappelant toutefois les conditions de travail déplorables de ces petites juridictions ; soit il s’agit d’une dérive, souvent constatée chez les étudiants en droit, consistant à chercher l’inspiration sur internet, et la pratique doit être dénoncée. La facilité d’internet ne doit en aucun cas supplanter la réflexion juridique d’autant que la référence à la liberté syndicale, constitutionnellement reconnue, aurait probablement permis d’aboutir, dans le cas présent, à la même solution.