En janvier 2010, Invictus est sorti sur les écrans français. Ce film de Clint Eastwood montre comment le rugby a été considéré par Nelson Mandela, comme « la continuation de la politique par d’autres moyens ». La coupe du monde de rugby de 1995 a donc contribué à panser les blessures issues de l’apartheid et à construire une nouvelle identité sud-africaine.
Force est de constater que le rugby comporte de nombreuses analogies avec le combat, les opérations ou la guerre. Certaines similitudes sont propres à ce sport alors que d’autres sont plus généralement communes au mouvement sportif. Le rugby aurait-il pour autant une fonction politique et sociale proche de celle de la guerre ?
Le combattant et le joueur
“Il m’est toujours resté du rugby la certitude qu’il endurcissait l’individu dans des proportions insoupçonnées.” Frédéric Rossif, cinéaste.
“Quand je joue, je suis un combattant.” Fabien Pelous. 118 capes et 42 capitanats en équipe de France.
Le rugbyman dispose souvent de nombreuses caractéristiques du combattant. Il mêle, le temps de match, son destin à celui de ses coéquipiers. Ceci reste le propre de tous les sports d’équipe mais dans ce sport, l’engagement physique est presque total. La violence, certes régulée par l’arbitre, doit être maîtrisée d’abord individuellement. Les joueurs entrent sur le terrain en sachant qu’ils vont donner des coups (codifiés) mais également en recevoir. Les qualités idéales du rugbyman, qui peut avoir presque tous les gabarits physiques, sont l’esprit de sacrifice, l’engagement physique, le sens de l’intérêt collectif, la performance technique, la camaraderie, etc. Cela se rapproche de celle du militaire occidental idéal – idéal car la perfection n’est pas de ce monde. Il est possible d’objecter que la dimension des pertes et de la violence ne sont pas celles du combat des militaires. La seule vraie différence est que le joueur adverse ne cherche pas à vous tuer dans le combat ! Néanmoins, le phénomène des pertes n’est pas à négliger. Sur les bases des chiffres français (tous sports confondus), les taux annuels de létalité, vraisemblablement sous-estimés, sont de 1 à 2 sportifs pour 100 000 pratiquants. De même, le risque de blessure n’est pas anodin pour le rugby à XV : 22 blessures pour 1000 heures de jeu, soit statistiquement une par match malgré les protections individuelles. La blessure est donc normale et consubstantielle de l’engagement, tout comme le sang qui coule presque à chaque match.
Combat sur un champ de bataille ou match de rugby
“En Nouvelle-Zélande, le rugby est un combat avant d’être un jeu.” Jacques Fouroux. Ancien joueur et sélectionneur français.
“J’ai passé de bien durs moments depuis le début de la guerre mais rien ne m’a semblé aussi rude que le match que j’ai joué pour la France contre l’Ecosse en 1913.” . Marcel Legrain. Mort le 27 juin 1915, sur le front, à Neuville-Saint-Vaast.
Comme le champ de bataille, le match de rugby est l’affrontement de deux camps, selon une unité de temps, de lieu et d’action. Le corps-à-corps et la mêlée, ouverte ou non, font partie de la pratique du match… Le vocabulaire rugbystique est militaire : les tactiques, le front, les charges, les appuis, la défense, la ligne d’attaque, le choc, le mouvement, les percées, etc. La manœuvre (combinaison des effets produits par les joueurs – mouvement ou contact) existe sous la forme de jeu dans l’axe ou de jeu déployé. L’analogie dépasse l’utilisation du vocabulaire militaire dans le rugby car les principes appliqués sur le terrain –de rugby - s’approchent réellement de ce qui est prôné lors de l’engagement militaire. La concentration des efforts, l’économie des moyens et liberté d’action, pour reprendre les principes de Foch, s’appliquent à ce jeu qui, en réalité, reproduit une forme symbolique de combat. Chaque camp se bat pour ses couleurs, de club ou nationales, derrière l’autorité morale et réelle d’un capitaine. Ceci se traduit par l’engouement des plus prestigieuses écoles militaires françaises (Polytechnique, Saint-Cyr, Navale, Collège interarmées de défense, etc.) ou anglo-saxonnes pour ce sport (pour les Etats-Unis, le football américain). Le match s’apparente à un déchaînement de violence codifié, quelque peu comme une bataille conventionnelle sans ennemi voulant tuer l’autre. C’est un affrontement des volontés qui dépasse, à haut niveau, le cadre sportif.
De la stratégie au rôle politique
“Ce n’est pas parce qu’il est violent que j’aime le rugby. C’est parce qu’il est intelligent.” Françoise Sagan. Ecrivain.
“Le rugby c’est d’abord un sport stratégique où l’occupation de l’espace suggère les images du patrimoine et du terroir.” Antoine Blondin. Ecrivain.
La stratégie existe dans le sport, en général, et dans le rugby, en particulier. La stratégie, combinaison des moyens et des fins pour atteindre des objectifs fixés, une discipline utilisée dans l’ovalie, par les organismes privés – les clubs – ou les fédérations nationales. Les objectifs sont rugbystiques (gagner un championnat ou une coupe), financiers ou politiques. Les moyens sont les joueurs et leur environnement logistique, administratif, financier, etc. Les voies sont la gestion de ces ressources humaines et financières, au cours des saisons.
La dimension géopolitique et internationale du rugby ne doit ni être surestimée, ni sous-estimée. Certes, il s’agit d’un sport qui n’est plus olympique et dont l’audience mondiale reste limitée. Le « monde du rugby » n’est pas universel contrairement à celui du football. La coupe du monde de rugby consacre les mêmes équipes. Le 22 février, seules 95 équipes sont classées dans l’International rugby board et 8 des 10 premières équipes appartiennent au tournoi des trois nations ou à celui des six nations.
Cela constitue une de ses particularités. La pratique de ce sport s’inscrit dans des projets nationaux ou des identités régionales. L’Ecosse et le Pays de Galles existent - non exclusivement - par leur équipe de rugby qui contribue à cimenter leurs identités, notamment face à l’Angleterre dominante au sein du Royaume-Uni. Plus étonnant vu de France, l’équipe de rugby d’Irlande représente à la fois la République d’Irlande et l’Irlande du nord ! L’élargissement du tournoi des 4 nations à la France, en 1910, puis à l’Italie, en 2000, montre que le club des meilleures équipes européennes de rugby n’est pas uniquement anglo-saxon. Certains France-Angleterre ont aussi étrangement certaines tonalités de combat séculaire, heureusement pacifique, contre « la perfide Albion ». L’équivalent réciproque existe pour les Angleterre-France. Le Royaume-Uni est pourtant une grande alliée de la France depuis un siècle ! Et, l’Angleterre ? Paradoxe ?
Le tournoi des trois nations (Afrique du sud, Australie, Nouvelle-Zélande) est depuis 1996, le pendant des six nations, dans l’hémisphère sud. Il ne s’est pas ouvert aux non anglo-saxons. L’excellente équipe d’Argentine n’en fait pas partie. Le filmInvictus revient sur le projet national sud-africain. Vu d’Europe, les Wallabies australiens font partie de l’identité de leur pays mais les All-blacks néozélandais sont leur pays. C’est réducteur mais trop souvent vrai. Par ailleurs, des « petits » pays par la taille, ne sont réellement connus en Europe que grâce au rugby : Fidji, Samoa, les iles Cook (sous souveraineté néozélandaise).
Il existe donc des éléments rugbystiques qui interfèrent avec la géopolitique et les relations internationales. Les réflexions brièvement développées sur les analogies entre le rugby, la géostratégie et la guerre ne représentent pas une étude mais des pistes fondées sur des connaissances et des ressentis. Au-delà de tout cela, le rugby reste d’abord un sport et un beau sport ! Il ne peut plaire à tout le monde. Il porte des valeurs que certains considère surannées. D’autres, comme Oscar Wilde, pensent que « le rugby est un bon moyen pour envoyer trente brutes loin du centre ville ». Faites votre choix…
Sources :
- La Prévention et la mort subite du sportif par le Professeur Claude-Louis GALLIEN
- Classement international des équipes de rugby
- Rugby légende