La Paix, un acquis si fragile

Lors des nombreux débats européens organisés ces dernières années (référendums français, néerlandais, irlandais, débats autour de Bolkestein), un argument, pourtant au coeur de la construction européenne, a systématiquement été moqué par les opposants à la construction européenne: celui de la réunification d'un continent détruit par deux guerres mondiales, celui de la Paix.

Cet argument apparaît suranné, ridicule, improbable. La paix, mais elle est acquise! La guerre entre Etats européens? Mais vous n'y pensez pas! Bref, cet argument est  systématiquement moqué.

Et pourtant.

Certains souvenirs de la guerre sont encore douloureux. On se souvient également d'une certaine sortie sur le nombre de citoyens que compterait la Pologne si l'Allemagne n'était pas passée par là. Et aujourd'hui, dans un climat germano-grec plutôt tendu c'est, une fois de plus, la seconde guerre mondiale qui revient sur le tapis, sorte de "point de Godwin" du débat politique européen. La Grèce accuse en effet l'Allemagne de lui devoir toujours de l'argent pour les réparations de guerre, et ce en réponse aux accusations de la part d'une partie de la presse germanique selon lesquelles les grecs vont "gaspiller" l'argent du contribuable allemand. Ambiance, ambiance.

Que serait l'état du continent si ces accusations, ce ressentiment, s'exprimaient dans le cadre classique des relations entre Etats souverains? Si l'Union européenne n'était pas là pour, malgré tout, pousser ces pays à discuter, si l'Union n'offrait pas un cadre idéal d'apaisement? Ce rôle pacificateur là est bien connu et le mettre en exergue ne mériterait sans doute pas un post.

Un autre point, plus original, mérite par contre d'être évoqué, tant il m'a frappé quand j'en ai pris conscience. Bien plus qu'un cadre politique, l'Union permet également, et on ne s'en rend probablement même plus compte, l'éclosion d'un cadre médiatique pan-européen. L'Union est une chambre d'écho à des débats nationaux qui, si elle n'existait pas, ne dépasseraient pas le cadre national. Plus trivialement, c'est sans doute grâce à l'Europe que je suis, en tant que belge, en train d'écrire sur ce sujet qui concerne deux pays pourtant "étrangers". Parce qu'ils ne me sont plus étrangers, justement! Sans l'Union, est-ce que d'autres médias que grecs ou allemands auraient repris cette info? On peut en douter. il n'existerait même certainement pas de presse pan-européenne, ni de blogs bien informés.

Alors, bien entendu, il y a sans doute encore des progrès à faire sur ce point: bien souvent, c'est uniquement la presse spécialisée, ou les blogs, qui offre ce panorama d'opinions venues de toute l'Union; la presse généraliste se contentant souvent de retransmettre uniquement les débats qui intéresseront leurs lecteurs nationaux. Ceci dit, grâce au net, il devient de plus en plus facile, avec un minimum de bonne volonté, de s'informer sur nos voisins.

Bref, l'Union, par le rapprochement des peuples, par le cadre politique de résolution des conflits par le débat politique, mais aussi par son rôle dans l'émergence d'une conscience médiatique transnationale, joue un rôle important de veille contre la résurgence de la rancune dont on connaît le rôle délétère dans l'émergence des conflits. Donc, avant d'afficher un sourire narquois la prochaine fois que le thème de la paix sera évoqué pour justifier la construction européenne, pensez-y à deux fois!

Source photo: wikipédia.