AUTOPSYCHOGRAPHIE
Feindre est le propre du poète.
Il feint si complètement
Qu’il en arrive à feindre qu’est douleur
La douleur qu’il ressent vraiment
Et ceux qui lisent ses écrits
Ressentent sous la douleur lue
Non pas les deux qu’il a connues,
Mais bien la seule qu’ils n’ont pas
Ainsi, sur ses rails circulaires
Tourne, accaparant la raison,
Ce petit train à ressorts
Qui s’appelle le cœur
AUTOPSICOGRAFIAO poeta é um fingidor.
Finge tão completamente
Que chega a fingir que é dor
A dor que deveras sente.
E os que lêem o que escreve,
Na dor lida sentem bem,
Não as duas que ele teve,
Mas só a que eles não têm.
E assim nas calhas de roda
Gira, a entreter a razão,
Esse comboio de corda
Que se chama coração.
***
Entre le sommeil et le songe,
Entre moi et ce qui en moi
Est l’être que je me suppose,
Coule un fleuve sans fin.
Il est passé par d’autres rives,
Toujours autres et plus lointaines,
Au cours de ces nombreux voyages
Que connaissent les fleuves.
Il est arrivé là où j’habite à présent,
Cette maison qu’à présent je suis.
Il passe, si je me médite ;
Si je m’éveille, il est passé.
L’être que je ressens et qui se meurt
Dans ce qui m’enchaîne à moi-même
Sommeille où le fleuve s’écoule –
Ce fleuve qui n’a pas de fin
Entre o sono e sonho
Entre mim e o que em mim
É o quem eu me suponho
Corre um rio sem fim.
Passou por outras margens,
Diversas mais além,
Naquelas várias viagens
Que todo o rio tem.
Chegou onde hoje habito
A casa que hoje sou.
Passa, se eu me medito;
Se desperto, passou.
E quem me sinto e morre
No que me liga a mim
Dorme onde o rio corre —
Esse rio sem fim.
***
Sourire audible des feuilles,
Ce que tu es, ce n’est que la brise, là-bas.
Si je te regarde et que tu me regardes,
Quel est le premier à sourire ?
Le premier à sourire rit.
Rit, et regarde soudain,
A dessein de ne pas regarder,
Vers où, dans les feuilles, il sent
Passer le son du vent.
Tout est vent et déguisement.
Mais le regard, qui a tant regardé
Où il ne regardait pas, s’est retourné ;
Et nous parlons tous les deux
Ce dont il ne fut conversé.
Cela s’achève ou vient de commencer ?
Sorriso audível das folhas
Não és mais que a brisa ali
Se eu te olho e tu me olhas,
Quem primeiro é que sorri?
O primeiro a sorrir ri.
Ri e olha de repente
Para fins de não olhar
Para onde nas folhas sente
O som do vento a passar
Tudo é vento e disfarçar.
Mas o olhar, de estar olhando
Onde não olha, voltou
E estamos os dois falando
O que se não conversou
Isto acaba ou começou?
Fernando Pessoa, Cancioneiro, poèmes 1911-1955, traduit du portugais par Michel Chandaigne et Patrick Quillier en collaboration avec Maria Antonia Câmara Manuel et Liberto Cruz, avec la participation de Lucien Kehren et Maria Teresa Leitão. Christian Bourgois, 1988, pp. 221, 191 et 154