Un long récit mêlant poésie et prose comme si l’auteur ne pouvait faire le choix entre ces deux modes d’écriture, comme il ne peut faire le choix entre sa terre natale et son lieu d’exil. C’est ainsi que Dany Laferrière met en mots l’indicible : la douleur de l’exil et la volonté de se dire à nouveau "chez soi "
A vingt ans d’intervalle son père et lui ont quitté Haïti, ont échangé la splendeur des couleurs pour le froid et le vide de l’exil. Vingt années durant l’auteur a été hanté par l’absence de ce père parti sans espoir de retour.
A son tour lui aussi fait le choix du départ, laissant mère, soeur, amis.
Les femmes de Haïti sont celles qui restent
Il n’y a plus de famille, un père aux Etats-Unis, un fils au Canada, la famille éclatée, dispersée.
C’est son père dont " La mort expire dans une blanche mare de silence " * va provoquer le retour vers la terre d’origine, vers le bruit, les couleurs, les odeurs de la terre natale.
C’est un retour difficile. Il reprend possession des lieux, il reconnait les rues, les bruits, la vitalité paradoxale de son île " Si on meurt plus vite qu’ailleurs, la vie est ici plus intense " C’est son pays et il y est comme un étranger. Sa soeur est restée, c’est sa blessure secrète :
" Encore plus secrète que ma mère.
A la voir toujours souriante on n’imaginerait pas
qu’elle vit dans un pays ravagé par une dictature
qui ressemble à un cyclone
qui n’aurait pas quitté l’île pendant vingt ans "
Ce roman de l’identité est magnifique et terrible, le fantôme du père est partout présent, les changements sont profonds dans l'île mais la pauvreté, la faim, la peur sont toujours là.
De brefs tableaux, croqués sur le vif, de la vie haïtienne, un poignant constat d’échec "Un fleuve de douleurs dans lequel on se noie en riant." et aussi " Les trois quarts des gens que j’ai connus sont déjà morts (...) Ils vont si vite vers la mort qu’on ne devrait pas parler d’espérance de vie mais plutôt d’espérance de mort."
Un roman qui est comme un cri et qui devrait trouver place dans votre bibliothèque
* Aimé Césaire