Je m’abreuve à la source des traditions orales ouest-africaines, ces derniers temps. De manière directe avec ce recueil de contes transcrits par Birago Diop ou par le discours que portent les auteurs Monémembo et Hampâté Bâ sur le griot ou l’oralité dans leurs textes.
Publié une première fois en 1947, « Les contes d’Amadou Koumba » constitue l’une des premières tentatives de mettre en valeur et sur papier, ce qui fut longtemps le savoir réservé des griots. Ce texte fera partie de l'anthologie réalisée par Senghor dans les années 50, en plein cœur du mouvement naissant de la négritude.
Mais de quoi s’agit-il ? Birago Diop publie une série de contes recueillis auprès du vieux griot Amadou Koumba. Le lecteur comprendra que le nommé Amadou Koumba n’est pas forcément l’auteur de ces contes, puisque dans le texte, Birago Diop nous fait part du fait que les narrations d’Amadou Koumba faisaient écho à celles qu’il avait entendues dans son enfance. Mais on peut imaginer dans la démarche de Birago Diop, la volonté de rendre un hommage appuyé à tous ces griots en proposant un tel intitulé.
Ce sont des contes relativement brefs, souvent animaliers. On y retrouve Golo-le-Singe, la fripouille, Leuk-le-lièvre très futé et insoumis, Kakatar-le-caméléon, lent dans sa gestuelle mais pas forcément attardé sur le plan mental, Diassigue la mère-caïman observatrice invétérée des mœurs des gens du fleuve, soulante à ses heures, sournoise à d’autres, Boukhy-la-hyène, chapardeuse et retors ou encore Mbott-le-crapaud. Comme c’est souvent le cas dans les contes, ces animaux personnifient un ou plusieurs traits de caractère mis en avant afin de dégager une morale collective. L’élaboration de ces contes ne m’a paru complexe et les chutes proposées sont assez accessibles à tout public. Certaines histoires sont bouleversantes comme le conte « Petit-mari » s’appuyant sur un drame familial. Comment une fratrie se reconstruit-elle quand le père a disparu brutalement ?
Bien qu’écrit en français, les langues locales n’hésitent pas à se battre au portillon pour trouver leur place dans cette affaire rondement menée par Birago Diop. Elles s’entrechoquent parfois comme dans le cas de ce marabout, privé de nourriture dans un village où l’hospitalité est pourtant de mise, simplement parce que notre sérigne s’exprimant en ouolof ne se fait pas comprendre du jeune homme bambara mandaté pasr ses hôtes pour lui proposer ripaille.
Ces textes sont très imagés. L’auteur craignait de ne pas pouvoir retranscrire les mimiques, la gestuelle d’Amadou Koumba, l'atmosphère de la narration mais non seulement, le lecteur adulte assimile bien ces histoires, mais en plus, après avoir acheté un beau boubou à Château Rouge, il peut aisément s'insérer dans la peau de Leuk-le-lièvre, Diassigue-le-caïman et se transformer en merveilleux conteur pour le bonheur des enfants.
Le dernier texte Sarzan n’est pas un conte. Il n’est pas d’Amadou Koumba. C’est plutôt une expérience que Birago Diop a vécu lors de ses grandes tournées en tant que vétérinaire dans l’Afrique de l’Ouest. Une histoire somme toute cohérente avec le reste du livre. Le retour d’un tirailleur dans son village natal. L’homme a fait le Soudan français, le Sénégal, le Maroc, la France, le Liban, la Syrie. Sergent de l’armée française de retour à Dougouba, village qui a survécu à l’islamisation des troupes d’El Hadj Omar Tall. Terre redevenue animiste. Au retour de Birago Diop, le sergent Keïta a sombré dans la folie. Difficile, voir impossible de ne point évoquer le personnage de Joseph Conrad, dans le fameux roman Au cœur des Ténèbres, Kurtz. Le sergent Tiémoko Keïta souhaitant réformer les croyances désuètes de Dougouba, selon sa lecture du monde, bascule dans un délire sans fin, et devient Sarzan-le-fou.
Ce livre a été offert par le site Agendakar.com que je remercie chaleureusement.
Birago Diop, Les contes d'Amadou KoumbaEdition Présence Africaine 1961, 182 pages