(dépêche)
Mort d'Alexander Haig le 20 février 2010 à 85 ans
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Nécrologie
Alexander Haig, ancien secrétaire d'Etat américain
LE MONDE | 24.02.10 | 16h12 • Mis à jour le 24.02.10 | 16h12
Nommé en 1981 par le nouveau président des Etats-Unis, Ronald Reagan, pour diriger la diplomatie de son pays, le général quatre étoiles Alexander Haig devait obtenir, comme il est de coutume,
l'aval du Sénat. Lors de son audition, le sénateur démocrate Paul Sarbanes lui demanda quel était son "jugement de valeur" sur Richard Nixon, dont il avait été chef de cabinet durant seize mois
jusqu'à sa démission, en août 1974, à cause du scandale du Watergate (les écoutes illégales du quartier général du Parti démocrate commanditées par la Maison Blanche).
Le général Haig répondit du tac au tac : "Personne n'a le monopole de la vertu, pas même vous, sénateur !" Mais ce dernier insista. Alexander Haig admit alors que des actes "impropres, illégaux
et immoraux" avaient été commis dans cette affaire. Il conclut sur ce point : "Je ne peux me forcer à émettre un jugement sur Richard Nixon, ni d'ailleurs sur Henry Kissinger. (...) Je laisse
cela à l'Histoire et à Dieu."
Tout était dit du rapport qu'a entretenu avec ses deux pygmalions l'un des généraux les plus politiques qu'ait jamais connus l'Amérique. Avec Richard Nixon et Henry Kissinger, il avait eu des
relations tumultueuses, parfois jusqu'à l'orage, mais il leur devait tant, qu'en aucune circonstance il n'imaginait leur porter publiquement tort.
Sa première mission, à la Maison Blanche, en 1969, consiste à coordonner la liaison entre Henry Kissinger au département d'Etat et le Pentagone. De lieutenant-colonel, en cinq ans, il gravit les
échelons jusqu'à devenir général quatre étoiles. Jamais ascension ne fut aussi fulgurante hors des champs de bataille.
En janvier 1972, c'est à lui que Richard Nixon et Henry Kissinger confient la mission de finaliser à Pékin, dans le plus grand secret, leur future visite, prélude à la reprise des relations entre
les Etats-Unis et la Chine maoïste, qui bouleverse l'ordre diplomatique hérité de la guerre froide. C'est naturellement à lui que le président fait appel, en mai 1973, pour diriger son cabinet,
lorsque, sentant la tempête du scandale du Watergate se lever contre lui, Richard Nixon sacrifie un premier fusible : "Bob" Haldeman, son chef de cabinet en titre, qui purgera d'ailleurs dix-huit
mois de prison.
"Vaisseau fantôme"
C'est Alexander Haig qui sut convaincre Richard Nixon de démissionner, pour s'éviter et éviter au pays une procédure en destitution. Comme le lui avait demandé Henry Kissinger, alors que le
président, cerné par les témoignages accablants, s'enfonçait dans la dépression et la paranoïa, Alexander Haig s'occupa de préserver l'Amérique pendant qu'Henry Kissinger prenait en charge les
réactions du reste du monde.
Alexander Haig avait initialement conseillé à son président de détruire les enregistrements qui l'incriminaient. Mais, devant l'emballement de l'enquête, il se persuada que la seule option
possible consistait à amener progressivement son "patron" à accepter de démissionner. Dans Les Derniers Jours de Nixon (1976), les journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein écrivent
qu'Alexander Haig, craignant un geste irréversible, ordonna aux médecins de retirer au président ses somnifères. Puis il l'amena à envisager son retrait avant la fin de son mandat.
Successeur de Richard Nixon, Gerald Ford envoya ce soutien obstiné aux pires dictatures d'Amérique latine en Europe pour y prendre la tête de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).
Puis Richard Nixon fit tout pour promouvoir son poulain auprès de Ronald Reagan. Mais le retour du général à la Maison Blanche fut loin d'être convaincant. Secrétaire d'Etat, Alexander Haig n'y
resta que dix-huit mois. Ses relations avec le vice-président, George H. W. Bush, et son homme-lige, James Baker III, allèrent s'envenimant. Le président s'offusqua des tentatives d'Alexander
Haig de remettre en cause ses initiatives diplomatiques. Le 24 juin 1982, Ronald Reagan lui fit signer sa lettre de démission.
Jusqu'à son dernier souffle, Alexander Haig s'inscrira en faux contre ce qu'il jugeait constituer une légende. Pour lui, la diplomatie reaganienne ne fut qu'un "vaisseau fantôme". Ce n'est pas la
poursuite de la "Guerre des étoiles", un vaste programme d'armement, qui avait mis l'URSS à genoux. L'empire soviétique avait simplement "fini par imploser" à cause des "contradictions internes
du marxisme" et Ronald Reagan avait "eu la chance d'être président" au bon moment. Sous Richard Nixon, on avait un temps appelé par dérision Alexander Haig "le 37e président et demi", tant son
emprise était puissante. En 1974, "le président, c'était lui", écrira William Saxbee, le ministre de la justice de l'époque. Président, il a indubitablement ambitionné de l'être. En 1988, une
fois, il tenta d'obtenir l'investiture républicaine. Arrivé dernier à la première élection partielle pour désigner le candidat, il renonça immédiatement.
Sylvain Cypel
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Dates clés
2 décembre 1924
Naissance à Bala Cynwyd (faubourg de Philadelphie).
17 mai 1973
Chef de cabinet du président Richard Nixon.
20 février 2010
Mort à l'hôpital Johns Hopkins de Baltimore.
Article paru dans l'édition du 25.02.10