Émile bernard et le pere tanguy

Par Bernard Vassor

PAR BERNARD VASSOR

Portrait du père Tanguy par Émile Bernard. Après la mort de Vincent van Gogh, Emile Bernard apprenant la maladie du père Tanguy, et le plus complet dénuement, écrivit à Andries Bonger le frère de Johanna, en lui demandant de lui envoyer "quelque chose tout de suite, j'avais heureusement 100 francs sous la main,  mais, qu'est-ce que cela, le médecin vient tous les jours. (...) voilà 15 jours qu'il est au lit. Est-ce un deuil qui se prépare ? Ca en sera un bien grand pour moi dans tous les cas. Vous connaissez l'affection que j'avais pour lui, le meilleur des hommes (...) D'après les indications des médecins, le foie et le reste sont bien endomagés. Les premiers jours de 1893, voient "une amélioration du malade qui semble en bonne voie de guérison". C'est toujours Bernard qui l'écrit à Bonger. Malheureusement, le répit fut de courte durée et les affaires n'étant pas florissante (Tanguy n'avait pas vendu un seul tableau de l'année) Bernard revient à la charge, et redemande à Bonger d'envoyer un peu d'argent pour secourir celui qui fut toujours bon avec les jeunes artistes, et qui l'avait personnellement tiré d'embarras dans une période où ses parents ne voulant pas qu'il soit artiste peintre, l'avaient abandonné à son sort. Bien des fois, il trouva le réconfort et le couvert rue Clauzel, Tanguy allant même jusqu'à se rendre à Asnières pour rencontrer sa mère pour la faire revenir sur sa position, ce qui fut fait. Nous comprenons donc la reconnaissance d'Emile Bernard, qui signale par ailleurs qu'il ne fut pas le seul dans ce cas. En janvier 1894, la reprise  de la maladie (sans doute un cancer) l'obligea à une hospitalisation à Lariboisière pendant quatre semaine pendant lesquelles il ne reçut aucun traitement. Il décida donc de rentrer chez lui où il mourrut le 4 février 1894 : "Il a voulu absolument revenir à la maison (...) vous pouvez l'emmener chez vous io n'y a rien à faire"(...) Il avait une tumeur dans laine et sa gagne le ventre, il était trop agé pour subir une opérationNous sommes heureux tous les trois de lavoir vue mourir chez nous il nous disait qui ne voulait pas mourir à l'hôpital"* J'ajoute qu'en plus de Bonger et de Bernard, Octave Mirbeau fit preuve de la plus grande générosité à l'égard de Tanguy et de sa veuve. Des documents inédits en ma possession me permettent de préciser certains points : Julien Tanguy était parfaitement sobre, ce qui est rare pour l'époque, il était presque analphabète, mais, il achetait des journaux "socialistes"qu'il devait se faire lire par sa fille Mathilde. Il savait néanmoins signer de son nom. Sa femme elle aussi ne savait ni lire ni écrire, mais en revanche, "la mère Tanguy" *Lettre écrite de la main de la fille Tanguy, fautes d'orthographes respectées. Une lettre d'Émile Bernard envoyée de Port Saïd où il séjournait en février 1894, après avoir eu connaissance de la mort de Julien Tanguy : "Vous connaissez toute l'étendue de mon affection pour lui, et aussi toute la reconnaissance que je lui devais. Sans Tanguy, que serais-je devenu il y a dix ans lorsque je me retrouvais vis à vis de mon père furieux contre moi, de mon désir d'art et l'impuissance de ma mère à m'aider dans ce désir. J'étais souvent sans couleurs, argent, souvent sans avoir même à manger quand j'allais à Paris voir les chefs-d'oeuvres du Louvre. Je faisais ces longs pèlerinage à pied **(...) Tanguy s'est trouvé sur mon chemin, et c'est grâce à lui que cette carrière s'est ouverte à moi sans épines. Puis il fit ma première éducation. Les Cézanne me furent montrés et expliqués par lui (...) au récit des noms que j'admirais (...) et c'est alors que la beauté et la résignation de ce presque Père, de ce père de ma peinture et de ma carrière. Lui privé de tout, pauvre, n'ayant pas même bouchée de pain(...)" "Jo" (les Hollandais prononcent Yo) est bien plus sévère avec lui quand elle écrit : "puis Tanguy, le vieux petit marchand de couleurs de la rue Clauzel, dont les clients étaient autorisés d'exposer à tour de rôle leurs tableaux dans sa vitrine (celle du 14 rue Clauzel pour l'époque dont elle parle) et qui parfois a été décrit comme un mécène d'art à quoi manquaient au brave homme toutes les qualités et même s'il les avaient possédées, sa femme le lui aurait empêché. Il envoyait et ceci de bon droit des comptes convenables de tout ce qu'il fournissait et ne comprenait pas grand chose aux tableaux qui furent exposés chez lui". Cette opinion est démentie par celle de Théo et Vincent qui tenaient en haute estime l'opinion de Tanguy. Le respect qu'il inspirait à tous ses clients pourtant dotés d'une grande culture, l'affection et la sagesse qui l'avaient fait surnommer le Socrate de la rue Clauzel, un peu par moquerie affectueuse mais aussi avec un grand respect pour ce vieillard taciturne. Après la mort de Tanguy, la veuve eut à se débattre avec le propriétaire qui voulait l'obliger à terminer le bail et la menaçait de saisir les tableaus stockés dans la boutique du 9 rue Clauzel. Julien Tanguy fut inhumé au cimetière de Saint-Ouen "dans la tranchée (gratuite) des pauvres numéro 12" **Bernard habitait alors Ã  Asnières le long de la ligne de chemin de fer.