Dans le bilan financier 2008-2009 des clubs de Ligue 1 établi par la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) de la fédération, Lyon et Bordeaux sont les seuls à avoir dégagé des bénéfices significatifs - quoique modestes -de respectivement 5,4 et 4,1 millions d'euros. Une quasi-égalité due à la chute de 75 % du résultat net de l'Olympique Lyonnais, baisse qui aurait même tourné à la dégringolade si l'espoir Karim Benzema n'avait été vendu in extremis à la fin de l'exercice et pour 35 millions d'euros au… Real Madrid. Doté de confortables fonds propres (48 % du total de ceux de la Ligue 1), l'OL paraît encore plus solide, financièrement, que son rival. Mais si, comme tous les clubs français, Bordeaux tire profit du « trading de joueurs », il en est beaucoup moins dépendant que Lyon, qui devra encore vendre ses meilleurs éléments à la fin de la saison. Au cours des cinq dernières années, l'OL a vendu pour 245 millions d'euros, soit une moyenne de 50 millions par saison.A Bordeaux, les quelques millions d'euros de bénéfice dégagés depuis plusieurs années ne sont pas dus à des transferts, même si le club vend régulièrement des joueurs. Sur la période 2008-2009, alors que l'option d'achat de Yoann Gourcuff auprès du Milan AC (pour un montant total estimé à 15 millions) n'avait pas encore été exercée, Bordeaux a dégagé un excédent opérationnel de 6,5 millions, si l'on en croit la DNCG.Car la réussite du centre de formation bordelais, dans lequel le club investit 4 millions d'euros par an (sur 100 millions de budget) et qui, dans le passé, avait déjà « sorti » Bixente Lizarazu et Christophe Dugarry, piliers de l'équipe de France de 1998, ne permet pas que de réaliser des transferts. Pour Jean-Louis Triaud, le président, c'est pour d'autres raisons que l'école de football girondine participe à la réussite économico-sportive du club. Former des joueurs permet de vendre, mais, surtout, selon lui, de ne pas trop acheter. « Les transferts ne doivent servir qu'à combler des manques. Plus que les vedettes, qui ont une vraie valeur ajoutée, ce sont les joueurs dits de club qui coûtent cher à l'achat. C'est pour cela qu'il est primordial de réussir à les former soi-même. Normalement, les joueurs formés localement doivent constituer un bon tiers de l'équipe », explique-t-il en évoquant Marc Planus et Benoît Trémoulinas, produits locaux et piliers de l'équipe. Evitant, sous la pression de M6, un actionnaire économe, le turnover incessant que connaissent depuis plusieurs années les ténors du championnat français que sont l'OM ou le PSG, longtemps financés à perte par Robert Louis-Dreyfus et Canal+, Bordeaux tire aujourd'hui les bénéfices d'une gestion de bon père de famille. Signe de cette approche prudente du « sport business » : la stabilité de la masse salariale. Si, à 60 % du chiffre d'affaires, elle est dans la moyenne de la Ligue 1, elle n'a pas bougé en proportion depuis 1999, année du précédent titre des Girondins. Alors même qu'en dix ans le salaire moyen des joueurs a connu des progressions annuelles à deux chiffres.Mais la prudence en matière de recrutement n'est naturellement pas synonyme de qualité de jeu. Pour que cette politique porte ses fruits, il convient de posséder un entraîneur capable de tirer les joueurs vers le haut. C'est la clef du succès sportif. Et c'est ce qu'ont réussi les Girondins de Bordeaux avec Laurent Blanc, aujourd'hui leur plus bel actif. « Il exploite l'effectif à 200 % », résume Jean-Louis Triaud. Un succès sportif qui, effet d'un cercle vertueux, se transforme rapidement en succès économique, la seule participation à la Champions League générant au moins 20 millions de revenus annuels supplémentaires.Formation, recrutement pertinent à coût raisonnable, management de talent : la dynamique du club, on le voit, repose avant tout sur des hommes. Elle reste donc fragile. Pour la pérenniser, les Girondins, qui ont, jusqu'à présent connu une réussite cyclique (la période du président Bez dans les années 1980, celle du trio Lizarazu-Dugarry-Zidane dans les années 1990), doivent graver la spirale de la victoire dans la pierre. D'où le projet de nouveau stade d'un coût de 165 à 200 millions d'euros dont le club doit financer 100 millions. En passant de 35.000 à 45.000 places, et, surtout, de 1.000 à 3.500 « business seats » (protégés de la pluie, contrairement à aujourd'hui) vendus aux entreprises, Bordeaux dopera des recettes de billetterie qui ne représentent aujourd'hui que 10 % (11 millions) du chiffre d'affaires. Selon les normes d'Ineum Consulting, c'est le niveau d'un « challenger national ». Pour devenir un vrai « challenger européen », il faut grimper entre 40 et 70 millions. Un façon, aussi, d'être moins « télédépendant ». Autant dire que l'échec du projet, qui se heurte encore à l'opposition du Conseil général de Gironde, rendrait vaine une décennie de sage gestion.