Jours heureux (suite)

Publié le 24 février 2010 par Olivier57

Hier, cela a fait un an qu'un lâche attentat brisait la vie de Cécile Vannier et de ses proches. Un an plus tard, tout est oublié, quasiment aucun article pour rappeler sa mémoire. Aucun coupable n'a été arrèté. Une pauvre jeune fille innocente de 17 ans est morte et le monde s'en fiche.

Aujourd'hui, je pense à ses pauvres parents qui vivent jour après jour, heure après heure la cruelle absence de leur fille. Une chambre vide, un lit vide, des habits, des photos, un bureau, des livres, tout vient leur rappeler qu'ils ont eu une jolie fille et que celle-ci leur  a sauvagement été arrachée. Sans qu'ils ne le sachent, le dernier baiser de l'aéroport était un baiser d'adieu.

Alors puisque bien peu en parlent, sans autre espoir que de compatir à leur douleur, je reprends la note de l'année dernière pour dire aux proches de Cécile qu'ils ne sont pas seuls.

Pour leur dire que mes yeux se brouillent et que ma gorge se serre à son souvenir.


Pendant de longues années, vous avez élevé votre enfant chérie.

Vous avez connu l'émotion, le bonheur de sa naissance. Vous avez guetté son premier sourire, ses premiers mots, ses premiers pas. Vous avez sursauté à chacun de ses cris, vous vous êtes précipité au moindre pleur. Tant de fois, vous l'avez consolée, vous l'avez protégée, vous l'avez réchauffée, vous l'avez rassurée.

Vous vous êtes inquiété à chaque montée de température, bondissant sur le téléphone pour appeler le médecin lorsque le seuil d'alerte était proche. Vous l'avez baignée, vous l'avez soignée. Vous avez connu l'angoisse des urgences, le soulagement de la santé recouvrée.

Vous lui avez appris l'alphabet, les sons, les odeurs. Vous lui avez lu ses premiers livres. Vous avez ri de ses bons mots d'enfant. Vous l'avez emmené au cirque, au cinéma, à la mer, à la montagne, à la campagne, au restaurant, partout où vous saviez le rendre heureuse.

Vous avez passé un temps infini dans les magasins pour trouver les cadeaux qui lui feraient plaisir. Vous avez organisé des anniversaires vous transformant en valet d'une douzaine de bambins. Vous avez fait le taxi un nombre incalculable de fois pour qu'elle rejoigne ses amis, ses activités.

Vous lui avez fait réciter ses leçons, vous avez surveillé ses devoirs. Vous vous êtes émerveillé de ses progrès ou énervé de ses distractions. Vous avez rencontré ses professeurs, vous avez signé ses carnets aux résultats pas toujours grandioses, vous lui avez répété mille fois qu'elle pouvait faire mieux.

Plus tard, vous avez connu les premiers conflits et les premières réconciliations. Vous avez grondé, vous avez puni en vous demandant si finalement, ce n'était pas vous qui en souffriez le plus. Vous avez connu l'exaspération. Vous avez connu les premiers copains et les premières sorties, le regard nerveusement fixé sur l'horloge des heures tardives.

Pendant toutes ces années, vous avez veillé à sa sécurité, mis sous clef les produits ménagers, écarté les objets blessants et les plats brûlants, tourné les manches des casseroles. Vous l'avez tenu par la main pour l'emmener à l'école, vous lui avez appris à faire attention en traversant, vous lui avez fait tant et tant de recommandations.

Hier, vous lui avez offert un séjour à l'étranger, vous avez vérifié ses bagages, ses vêtements, ses médicaments. Vous êtes levés tôt pour ne pas rater l'avion, vous l'avez emmené à l'aéroport en lui souhaitant un bon voyage, vous étiez heureux qu'elle soit heureuse, si heureuse qu'elle vous a quitté bien vite pour que ses amis ne remarquent pas qu'un enfant avait des parents.

Aujourd'hui, parce que son pas a croisé celui qu'on ne peut traiter ni de fou, ni d'animal sans leur être désobligeant, en une fraction de seconde votre enfant a disparu. En un instant, toutes ces années, tous vos effort, tout votre bonheur, toute votre vie ont été anéantis.

Aujourd'hui, on vous la rend dans un sac noir, si déchiqueté  que vous ne pouvez la voir, l'embrasser. La bombe n'a pas seulement détruit votre enfant, elle a laissé à jamais un vide béant dans vos tripes, dans votre tête, dans votre coeur.

Devant le cercueil, vous regrettez le départ précipité, le dernier mot d'amour, les derniers baisers manqués. Il ne vous reste plus qu'à pleurer devant sa place vide, devant sa chambre vide, devant ses objets fétiches. Il ne vous reste plus quà hurler dans le souvenir d'un être cher, de votre chair.

Il ne vous reste plus qu'à appréhender chaque Noël, chaque anniversaire, chaque moment qui vous rappelera cruellement sa disparition. Il ne vous reste plus qu'à sécher les larmes sur les photos des jours heureux et à jamais disparus, en vous souvenant de toutes ces années passées ensemble, de vos joies et de ses rires.

Aujourd'hui, vous prenez conscience dans l'horreur qu'un enfant, que votre enfant ne dira plus jamais "Demain".

Voilà la désolante gloire du terrorisme, voilà le pitoyable aboutissement des saigneurs de l'innocence.