Note : 6,5/10
Sherlock Holmes est un film divertissant, plein de rebondissements, bien interprété. Pourtant, un sentiment d’inachevé ne m’a pas quitté depuis que je l’ai vu. Au final, j’ai l’impression que Guy Ritchie aurait pu faire mieux, avec pas grand-chose de plus (ou de moins ?). Le film avait en lui certaines potentialités, certains enjeux latents, qui auraient pu être exploités avec plus de force, plus d’intelligence, or à l’heure du bilan on reste un peu sur sa faim. Ce n’est pas tant le côté "blockbuster assumé" qui me gêne, parce que les virtualités dont je parle auraient pu être insérées sans trop de problèmes dans cette trame, c’est simplement que la maîtrise du film a légèrement échappé à son réalisateur, que ses possibilités n’ont pas été cultivées comme elles auraient pu l’être.
Ainsi de la tension permanente chez Holmes entre rationalisme le plus exacerbé et intuition, voire divination. Cette supposée contradiction, couple en réalité moins antithétique et plus complémentaire qu’il n’y paraît, qui n’a fait que
s’exacerber au 19e et surtout au 20e siècle, aurait sans doute pu gagner en subtilité, en réflexivité. Ce n’est pas vraiment le cas. Je ne peux m’empêcher, à ce sujet, de dresser un parallèle entre la figure de Holmes dans ce film et celle du Mentalist, la nouvelle "série à succès" (un peu surestimée à mon avis). Comme dans le cas de Patrick Jane, on ne sait pas trop in fine ce qui amène Holmes sur la bonne piste, est-ce un raisonnement à 100% rigoureux et logique, rationnel, ou y a-t-il quand même, à un moment donné, une part d’intuition, presque de médiumnité ? Cette ambiguïté, certes intéressante, finit cependant par lasser en butant sur une espèce de point aveugle : pourquoi le héros a-t-il su ? Et, peut-être encore plus intéressant : quand ? A la limite on n’arrive pas à le savoir, alors que c’est pourtant un enjeu fort de la narration. Nous avons certes la réponse, mais sans vraiment le cheminement pour y arriver, ou alors de façon fragmentaire et superficielle.
Autre tension forte, liée à la première, assez implicite dans la mythologie holmesienne, peu creusée dans le film de Guy Ritchie : la figure du détective que le raisonnement hypothético-déductif amène presque infailliblement à résoudre toutes les énigmes, même les plus complexes, cette figure au fond rassurante et emblème du positivisme et de la foi dans la raison, cette figure peut-elle encore être opératoire après les atrocités du 20e siècle et "l’ère du soupçon" postmoderne ? Le monde contemporain avec sa complexité sans bornes, son hyper-segmentation, son hyperspécialisation, peut-il encore se laisser appréhender (et surtout résoudre) d’un bloc ? Rien n’est moins sûr… Aussi la figure du détective prend-elle, dans notre postmodernité, un relief quelque peu tragique, tout au moins aporétique, puisque si la résolution d’une partie du problème reste tout à fait possible, la résolution globale paraît moins que jamais d’actualité.
Il y a une certaine habileté, dans le film, à engager le spectateur sur une fausse piste : en effet, presque jusqu’au bout, le surnaturel comme explication (Lord Blackwood aurait ressuscité, il serait à la tête d’une société secrète qui pratiquerait des rituels magiques) n’est pas exclu. Pourtant la chute, qui va définitivement exclure du champ des possibles la thèse fantastique, est un peu prévisible et tourne court. Ici aussi, à pas grand-chose, il y a un je-ne-sais-quoi qui fait légèrement "pschitt". Sans doute ce je-ne-sais-quoi pointe-t-il une osmose pas tout à fait parfaite entre le côté blockbuster du film, son côté maniériste et son côté roublard. A certains moments cette osmose est plus juste, par exemple dans ce ralenti où Holmes se bat à mains nues dans une cage et où il prévoit, au détail près et au millimètre près, comment et de quelle façon les coups qu’il va porter à son adversaire feront mouche et le cloueront au tapis. Ritchie mixe ici l’imaginaire de Matrix et celui des Experts : le ralenti permet de jouer la scène en anticipé dans l’esprit "informatique" de Holmes, avant de lancer à vitesse normale la vraie scène, qui va très exactement reproduire ce qui avait été planifié.
Malgré ces critiques et comme je le disais au début de cette chronique le film est bien joué, les répliques sont souvent plaisantes (ce qui insinue une dose de théâtralité et de pur plaisir d’interprétation dans un scénario pourtant plein de contrecoups et lancé à vive allure), l’esthétique tord aussi le cou à une certaine représentation "classique" (au demeurant erronée) de Holmes au cinéma ou à la télévision, bref on ne va pas non plus être trop exigeant et l’on s’accordera à reconnaître que ce Sherlock Holmes, sans être pleinement abouti, a plus d’un atout dans sa manche.