Le billet de Frédéric Rolin, professeur de droit public:
En adoptant le principe d’un contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, le constituant a sans doute voulu renforcé la garantie des droits. L’avenir dira s’il y est parvenu.
Mais il a également créé une situation de conflit latent entre les trois juridictions françaises auxquelles on associe parfois le terme de cour suprême : la Cour de cassation, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel.
Jusqu’à présent le partage des compétences était simple : Conseil d’État et Cour de cassation étaient compétents pour trancher toutes les questions de constitutionnalité qui leur étaient soumises, et si elles concernaient la loi ces questions de constitutionnalité étaient écartées irrecevables, et voilà tout. De son côté, le Conseil constitutionnel ne s’occupait que de contrôle préventif.
Voila donc une perspective qui aurait pu être dessinée par Le Nôtre.
Aujourd’hui, la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité, pour appeler cette question prioritaire de constitutionnalité par son vrai nom, va conduire Cour de cassation et Conseil d’État a « filtrer » les moyens soulevés à cette fin, et à les transmettre, s’ils sont sérieux, au Conseil constitutionnel.
Dans ces conditions, il existe plusieurs scénarios envisageables :
Il est d’abord possible que ces deux juridictions aient une conception souple du caractère « sérieux » des questions de constitutionnalité, et en ce cas, le Conseil constitutionnel sera abondamment saisi et deviendra en quelque sorte le tuteur constitutionnel de ces deux juridictions. Notre ordre juridictionnel sera alors en voie d’unification sous la coupe d’une seule cour suprême : ce Conseil constitutionnel nouveau.
Ou bien au contraire, Cour de cassation et Conseil d’État, soucieux de ne pas se placer sous cette tutelle, vont restreindre l’accès au prétoire constitutionnel, et en ce cas, elles vont capter, dans le cadre du contrôle du caractère sérieux des questions, l’essentiel du contrôle de constitutionnalité, un peu comme le juge du référé, juge de l’évidence, permet d’éviter le recours au juge du fond, ou un peu comme le Conseil d’État a déjà procédé pour le contrôle de l’interprétation du droit communautaire en considérant qu’il y avait rarement des questions préjudicielles à poser à la Cour de justice.
À la vérité, il existe même une troisième possibilité : celle d’une asymétrie dans l’intensité du contrôle. On pourrait parfaitement concevoir un schéma qui ressemble à celui des arrêts Jacques Vabre/Fabricants de semoule, dans lequel la Cour de cassation, sans doute moins préoccupée par ces questions de positionnement stratégique, joue le jeu, tandis que le Conseil d’État entrerait en résistance contre une extension des pouvoirs du Conseil constitutionnel.
Il y aurait alors un risque qu’il se crée un axe Cour de cassation/Conseil constitutionnel, pour dériver en quelque sorte les questions qui pourraient être bloquées par le Conseil d’État.
Et l’on pourrait encore concevoir que Cour de cassation et/ou Conseil d’État usent du droit européen pour neutraliser la question de constitutionnalité. Sans doute, au terme de la Constitution celle-ci est-elle prioritaire. Mais l’on pourrait parfaitement concevoir une jurisprudence conçue de la manière suivante : dès lors qu’une norme internationale permet de constater que la loi n’est pas applicable, est invalidée, alors la question de la constitutionnalité de cette loi n’est pas sérieuse puisque cette loi ne produit aucun effet. Ainsi, en jouant les conventions internationales contre la Constitution, ces deux cours pourraient éviter l’apparition d’un concurrent dangereux au titre de cour suprême.
Ces scénarios ne sont pas écrits, mais ils montrent bien que l’émergence de cette exception d’inconstitutionnalité va sans doute conduire à rebattre les cartes de l’organisation des juridictions suprêmes françaises, et nul doute que cela ne se fera ni sans heurts ni sans bouleversements importants.
Auteur : F. R
Juste pour le plaisir Combats pour les droits de l’homme se mue, pour la seconde fois et de manière éphèmère en “le blog de Frédéric Rolin” à en croire rezo.net :) sur la question prioritaire de constitutionnalité.
Nous en profitons pour signaler -et nous associer- à une initiative du même professeur Rolin chez nos amis du Blogdroitadministratif qui une nouvelle fois se préoccupent du côté obscur. (et nocturne)… de la carrière de juriste universitaire: la leçon de 24 heures en organisant une bourse des équipiers pour les leçons de 24 heures de l’agrégation de droit public afin de contribuer, dans la mesure du possible, à rendre ce concours moins inégalitaire socialement et en termes de réseaux surtout pour “les candidats de province, ou ceux concourant dans des matières rares, de celles qui seront bientôt classées au patrimoine mondial de l’UNESCO”.
Je rappelle que Combats pour les droits de l’homme ne souhaite accueillir aucun commentaire sur le concours d’agrégation. - sauf à me démontrer qu’il s’agirait d’un combat pour les droits de l’homme.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 22 mai à 04:41
La cour de cassation a pour fonction de contrôler la légalité des sentences prononcées par l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire, dont elle occupe le sommet. Quant au Conseil d'Etat,il a pour mission d'être le conseil du gouvernement et d'être également une cour de cassation pour l'ensemble des juridictions de l'ordre administratif.
Maintenant est dévolue en sus à chacune de ces deux juridictions la mission d'être le tuteur de l'usager de justice,quand celui-ci soulève la question prioritaire de constitutionnalité. C'est ainsi que le législateur a baptisé la question, qu'il aurait dû appeler en usant d'une terminologie correcte, question préjudicielle de constitutionnalité. Il s'agit bien d'une question préjudicielle, puisque le juge saisi du litige à lui déféré, est invité à surseoir à statuter dans l'attente de l'appréciation de la constitutionnalité de la loi appliquable à la cause, par une autre juridiction, en l'espèce le conseil constitutionnel. Le juge saisi du litige, incompétent pour apprécier la constitutionnalité de la loi ou du décret, transmet la question posée à l'incompétence de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat. Puisque ces deux juridictions en une telle occurrence n'ont que le pouvoir d'apprécier le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité. Si pour ester en justice, que ce soit par voie d'action ou par voie d'exception, vous êtes soumis à une volonté tierce, vous êtes dans la situation d'un incapable majeur. Il s'en suit que le recours en exception d'inconstitutionnalité n'est pas un recours effectif.