« C’est un illuminé, un évolué, un rescapé, un repenti, l’un des nôtres ».
Les étiquettes, Rocé en joue et s’en moque, ou presque. Sur le boitier en plexi de L’être humain et le Réverbère, il compte bien apposer celle d’artiste, en blanc ivoire sur fond rouge-sang. Rencontre avec un rappeur que beaucoup comprendront.
Pour cet album, tu reviens à des instrumentaux plus « hiphop », tout en conservant une plume riche et ancrée dans la réalité. N’est-ce pas finalement la définition d’un rap « mature » ?
Oui je pense, mais ce n’est pas élitiste ou exclusif, c’est l’énergie du rap additionnée à celle du phrasé. On vit dans une société qui a une logique de soustraction : on nous demande de choisir une seule culture, une seule identité, un genre musical à écouter. Au final, dès que tu veux additionner tes goûts et tes choix, on te prend pour un ovni. Le rap que je fais est le plus naturel, c’est celui qui a grandi avec le garçon. J’y ai additionné ce que m’apprend la vie, comme l’aurai fait n’importe quel artiste, peintre ou écrivain.
Dans Si peu comprennent, tu te positionnes en électron libre, hors des modes. N’as-tu pas l’impression de justifier une démarche qui n’aurait pas à l’être ?
Si mais c’est ca qui est bon dans ce morceau. L’aigreur, la haine de ne pas être compris. C’est un thème très commun dans le rap, pas du tout original, c’est comme parler d’amour dans la pop. Mais c’est sincère, c’est ce qui compte.
Sur le même morceau, tu reproches aux rappeurs français de se répéter dans leurs thématiques. D’aucuns te répondront que le contexte n’évolue pas plus…
Se répéter c’est normal. Je pense qu’on en a tous besoin. Ce que je leur reproche, c’est la répétition des thèmes. Quand je pense aux 1ers Ntm, Minister Amer, etc… vers 91, les rappeurs faisaient passer des messages, pas des constats. Ils étaient dans la démonstration artistique et le challenge, pas juste dans un rôle. Ils avaient un langage soutenu, même pour leur jeune age, et non un complexe argotique.
Aujourd’hui les rappeurs savent qu’ils font peur et que la peur fait vendre des disques. C’est tout. Peur ou pleurer, comme à Hollywood, voilà le contenu des projets. Et ils sont prêts a jouer de tous les clichés pour ça. Les clichés sont des attitudes forcés, des jeux d’acteurs. Mais, en même temps, si c’était bien fait je ne critiquerai pas. Il existe de belles œuvres sans belles idées derrière, et je ne suis pas juge de ce qui est bon. Sauf que c’est devenu une recette plus qu’une démarche, et dépassé l’adolescence, ce n’est plus crédible.
Tu as travaillé avec des artistes emblématiques d’horizons divers, de DJ Mehdi à Archie Shepp. Ta façon de travailler s’en est-elle ressentie ?
Oui c’est certain. Archie Shepp m’a inclus dans son groupe « Born Free », avec Jalal (Last Poet) ou Cheik Tidian Sek. On a joué dans pas mal de pays d’Europe. Il fallait que je trouve ma présence sur scène, tout en découvrant les morceaux devant le public. C’est un véritable travail de feeling.
Pour l’album, tu as abandonné l’écriture à quatre mains. Pourquoi ce choix ?
L’écriture en duo correspondait a un projet particulier. C’est une expérience. Je ne ressens pas le besoin de la renouveler.
Le morceau avec Hayet sonne plus electro que ce que tu as pu faire jusque-là. C’est une piste que tu penses explorer ?
Oui peut-être, en tout cas ce qui me plaît dans ce morceau c’est que Hayet a créé une prod violente et efficace qui correspond parfaitement au thème : « aujourd’hui exister c’est exister pixeliser ». Le coté électronique correspond au champ lexical des pixelles. Et dans la forme, le coté « question-réponse » des 2 voix rajoute de la dynamique.
Pour finir, qu’est-ce qui te réjouit dans le paysage musical d’aujourd’hui ?
Beaucoup de monde. Alice Russel, Nicole Willis, Missy Eliot, Nas, Jay Z, Mf Doom, Mayra Andrade, David Walters
Merci à Rocé et Maud. Interview à retrouver dans l’Openmag de Mars.
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L’être humain et le réverbère
Si l’habillage a perdu en envolées cuivrées, le ton, lui, est toujours aussi direct. En changeant d’équipe et de méthode d’écriture, Rocé gagne en impact : les mots fusent, s’impriment immédiatement, et la musique claque autant que la diction. Ce troisième album n’est alors ni celui d’une maturité déjà acquise, ni d’un retour aux sources, mais bien d’une constante envie.