On a appris hier le décès, à l'âge de 42 ans, d'Orlando Zapata Tamayo. Dissident politique cubain, maçon de profession, incarcéré par le régime castriste depuis 2003, il est mort dans une clinique de La Havane à la suite d'une grève de la faim. Initialement accusé de ne pas « respecter l'autorité », il avait été condamné par la dictature à trois ans de prison, mais sa peine avait été rallongée de 25 ans en raison de ses activités en faveur de la liberté politique qu'il poursuivait derrière les barreaux. Pour le responsable de la Commission pour les Droits de l'Homme et la Réconciliation nationale, Elizardo Sanchez, il s'agit d'un « assassinat virtuel, prémédité », les autorités ayant trop tardé à offrir des soins au dissident en grève de la faim depuis plus de deux mois qui avait été transféré la semaine dernière de la région centrale de Camaguey, où il était incarcéré, à l'hôpital Hermanos Ameijeiras de La Havane. Rappelons que selon Amnesty International ils restent encore aujourd'hui 58 prisonniers d'opinion « officiels » (leur nombre réel doit plutôt se calculer en centaines), embastillés pour le seul fait d'avoir exprimé leurs positions politiques et qu'en plus ceux-ci souffrent régulièrement de persécutions du fait de leurs gardiens ou d'autres détenus sous l'instigation des autorités. Le tout dans un cadre répressif impitoyable où sont systématiquement bafouées les libertés d'expression, d'association et de réunion et où les services de police harcèlent et intimident quotidiennement les journalistes et politiques dissidents .
Cette triste nouvelle nous fait nous pencher une fois de plus sur sort pitoyable de ces Cubains qui vivent depuis plus de 50 ans lamentablement dirigés par les frères Castro, sans espoir visible de changement proche, d'amélioration ou de soulagement. Malgré les illusoires espérances et assurances qui suivirent le retrait du pouvoir de Fidel Castro, le régime castriste ne quitte pas la ruineuse voie sans issue de la planification centralisée, des plans quinquennaux, du collectivisme, de la bureaucratie indolente qui contrôle tout, des coups de chicote contre quiconque lève la tête, sous l'autorité d'un parti unique à l'idéologie totalitaire guidé par le leader aimé et son frère – parce que, comble de la bigamie courtisane, il faut maintenant adorer simultanément deux repoussants dictateurs.
Il y a un demi-siècle, Fidel et Raúl Castro s'emparèrent du pouvoir à Cuba sans expérience aucune du gouvernement. Ils ont réussi à ne rien apprendre durant tout ce temps. Un véritable tour de force. Aujourd'hui, ce sont deux petits vieux minutieusement incompétents qui ont dégradé jusqu'au sadisme les cinq secteurs essentiels qui donnent du sens et une forme matérielle à toute société moderne : l'alimentation, l'eau potable, le logement, les transports et les communications. S'il existait un prix à l'incompétence gestionnaire, on devrait l'accorder pratiquement chaque année aux deux frères. La dictature castriste a reconnu que durant l'année 2009 les exportations avaient chuté de 23%, les importations de 37% et les investissements de 16%. Mais ces chiffres parlent assez peu, même si l'on devine bien que ce ne doit pas être la fête à La Havane. Un autre chiffre, par contre, dit plus et décrit de manière éloquente le panorama général : en 2009, Cuba a produit la même quantité de sucre qu'en 1902, quand il n'y avait ni tracteurs, ni électricité, ni camions. En 1902, il y avait un million et demi de Cubains et qui se déplaçaient à dos de cheval. Aujourd'hui, il y en a onze et presque plus de chevaux. Le pays s'enfonce chaque fois plus jusqu'à l'indescriptible à cause du manque de productivité insensé d'un système qui n'a jamais fonctionné nulle part, mais qui à Cuba a atteint des sommets inimaginables d'inefficience.
Pour nous aider à comprendre l'état d'esprit de la société cubaine, il est également utile de se rappeler qu'entre 1902, date officielle de la naissance de la République cubaine, et 1958, malgré les crises économiques – y compris celle de 1929 –, les désordres politiques, la corruption endémique et les périodes de dictatures, Cuba ne cessa de progresser de manière notable et constante jusqu'à se trouver dans le peloton de tête d'Amérique latine. Durant cette période, chaque nouvelle génération de Cubains vécut mieux que la précédente. En revanche, depuis 1959 et l'installation de la dictature socialiste, chaque nouvelle génération de Cubains vit plus mal que la précédente. Et c'est bien pour cette raison qu'aujourd'hui la seule pensée des Cubains est d'émigrer. Ils ont bien appris la cruelle leçon des frères Castro : le futur sera chaque fois plus sombre, pauvre et désagréable que le misérable présent qu'ils subissent. Dernièrement, une enquête réalisée par le parti communiste à l'université de La Havane (un lieu peuplé de 30.000 personnes pourtant supposées acquises au régime) donna des résultats dévastateurs : les trois quarts des étudiants, professeurs ou administrateurs souhaitaient l'abandon du système et son remplacement par un mode rationnel d'organisation. Les frères Castro en tirèrent les conclusions logiques et ils expulsèrent de son poste le recteur, un type manifestement incapable d'insuffler l'esprit de la Révolution à ses ouailles.
Comment tout cela terminera-t-il ? Sans aucun doute avec la disparition de cette désastreuse forme de gouvernement. Le système socialiste a peu de réels partisans dans le pays. Même s'ils ne manquent pas ceux qui applaudissent ou prêtent la main pour tyranniser les dissidents politiques dans des pogroms organisés par la police politique du régime, ils restent bien peu désormais ceux qui conservent réellement leurs convictions marxistes et sont persuadés que ce mode cruel de traiter la société apportera un jour le bonheur aux Cubains. Quand tout cela terminera-t-il ? Certainement comme pour l'Espagne franquiste – quand l'opposition démocratique était incapable de contester le pouvoir en place –, à la mort, d'abord, de Fidel (83 ans) et ensuite de Raúl (78). Mélancolique solution biologique. Certes, Raúl tente bien de consolider le parti communiste avec ses partisans inconditionnels, comme en son temps Franco essaya de le faire (assurant sur son lit de mort que tout était « ficelé, bien ficelé »). Mais cela ne fonctionnera pas. Les deux dictateurs ne se font plus obéir que par la crainte et l'inertie propre des longues tyrannies. Mais une fois morts tous les deux, nous le savons tous : surgiront les véritables désirs de l'immense majorité des Cubains désireux d'enterrer une fois pour toute cette étape de violence irrationnelle qu'ils ont dû supporter depuis trop longtemps.