Quelques écrivains ont décidé de s'élever contre les éditions La Baleine, depuis que cet éditeur a décidé de publier le roman de François Brigneau Faut toutes les buter. Brigneau est en effet un des membres fondateurs du Front national, condamné pour antisémitisme.
Didier Daeninckx, emblème du roman noir français, cofondateur du Poulpe, maniant la critique sociale et politique, explique ici dans un entretien accordé à Slate, pourquoi la parution du roman de François Brigneau est contraire à l'esprit des éditions La Baleine.
Didier Daeninckx rappelle que « les éditions Baleine ont été créées en 1995 par Antoine de Kerverseau et Jean-Bernard Pouy sur une base résolument antifasciste. L'activité principale du «Poulpe», le héros que se sont partagés plus de cent auteurs, consistait à traquer tout ce qui, dans ce pays, permettait aux idées brunes de s'installer, d'être dans l'air du temps. Le Poulpe a même réussi à devenir un acteur du combat contre le fascisme rampant. »
Des dizaines d'auteurs des éditions La Baleine ont signé une pétition et réclament le retrait de leur nom et de leurs œuvres du catalogue des éditions Baleine. Un droit de retrait des oeuvres qui n'existe pas dans le monde de l'édition.
D'après Daeninckx déonce la rupture du contrat moral passé entre l'éditeur et les écrivains édités par la Baleine, une trahison. « Une maison d'édition est une entreprise particulière qui repose essentiellement sur la valeur intellectuelle apportée par les auteurs. […] Il existe une sorte de contrat moral qui tient en ces mots: maison d'édition. Maison y est aussi important qu'Edition.
Et dans ce genre de maison, on est accueilli tout autant qu'on accueille. […] Le patron de Baleine a fait part à dix personnes de son projet de publier le fondateur du Front national et tous l'en ont dissuadé. »
Comment va réagir le lectorat à cette publication polémique ? Il semblerait que l'éditeur n'ait pas grand chose à gagner s'il parvient à se mettre à dos ses auteurs et ses lecteurs...
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 01 mars à 21:35
Les éditions Baleine, dont je m'occupe depuis 2005, et que j'ai rachetées au groupe La Martinière en 2008, ont publié plus de 450 titres, dans des collections diverses et variées, entre autres, et pour ce qui est encore d’actualité :
Le Poulpe, collection créée en 1995 par JB Pouy et dirigée aujourd'hui par Stéfanie Delestré, qui -en dépit des attaques et changements de propriétaires, compte maintenant plus de 190 titres, sans compter les copies, imitations et adaptations. Il en paraîtra huit nouveaux inédits en 2010, faisant appel aux meilleurs auteurs du moment et à leur interprétation personnelle du personnage et de la bible d'origine : Maïté Bernard, Marin Ledun, J.P. Jody, Sébastien Gendron, Sergueï Dounovetz, Antoine Chainas... Ceci pour 2010.
Baleine Noire, « collection-de-livres-qui-ne-se-vendent-pas », que je dirige et qui réunit dans des livres de poche de luxe, une littérature punk, gothique, gore ou noire , bizarreries, outrances, exercices de style, avec des auteurs français ou traduits, morts ou vivants, célèbres ou pas. Faut toutes les buter ! est publié dans Baleine Noire. Dans cette collection, constituée comme un cabinet de curiosités, j'ai publié, d'une part des auteurs contemporains de textes difficiles et littéraires que le "politiquement correct" et la frilosité éditoriale ambiante avaient amené dans cette collection unique (Serge Scotto, Pascal Françaix, Nada), et j'ai réédité, d’autre part, des textes anciens dont le caractère singulier me semblait cohérent avec les modernes. BR Bruss, Th. de Quincey, M. Agapit, Dann & Dozois... Son objet est bien la littérature. Pas la politique. La démarche est esthétique et artistique. Les couvertures sont toujours illustrées de photographies de cires anatomiques du Docteur Spitzner, qui rappellent aux éventuels chalands que ce n’est pas …pour les enfants. On m'accuse de vouloir créer du buzz : Malheur à celui par qui le scandale arrive ! Sérieusement, j‘aurais lancé une telle campagne pour un livre dont le tirage est de 2600 exemplaires, et qui sera demain diffusé à… 800 ex. ? Et j’aurais envisagé avec sérénité la perspective d’être traité de « facho », pour un roman populaire de 1947 ?
Bien sûr que Baleine n'est pas un éditeur militant : le Poulpe peut passer pour un militant, et encore... Ce n'est ni un vengeur, ni le représentant d'une loi ou d'une morale, c'est un enquêteur un peu plus libertaire que d'habitude, c'est surtout un témoin. C'est écrit sur les couvertures, depuis quinze ans. Mais les éditions Baleine, non : c'est une entreprise d'édition qui se targue de publier des romans divers et variés. On n'est pas obligé de les lire, ni de les acheter, ni de les aimer.
Pourquoi serait-il -comme déjà remarqué- scandaleux de côtoyer M. Brigneau chez Baleine, et pas chez Gallimard ou Albin Michel, où il fut édité aussi ?
Je maintiens que c'est un texte drôle, émouvant, divertissant, et historique. C'est un roman d'atmosphère. Bien sûr qu'il est grossier, sexiste, raciste et violent : le narrateur est un caïd assassin qui n‘a connu que la violence et les armes. Il a été publié en 1947. Et le dernier Ellroy, il ne contient pas lui aussi quelques expressions aussi vulgaires que racistes ?
Pourquoi lancer cette campagne une semaine avant la mise en vente, et avec une stratégie aussi maladroite : elle profite à M. Brigneau et nuit au poulpe ? N'étais-ce pas l'effet inverse qui était escompté ? Je regrette que des amis, pris en otage par cette polémique dérisoire, se trouvent mis en porte-à-faux. Qu'il sache que la porte de Baleine leur sera toujours ouverte. Et que leurs textes, eux, je continuerai à les défendre. Comme Patrick Raynal quand il a publié son ami ADG, parce qu'il jugeait que c'étaient des bons livres, je publierai M. Brigneau, je continuerai à publier des Poulpes, je continuerai à publier des romans horribles dans Baleine Noire, je défendrai les titres parus chez Baleine, tous les titres sans exception : A titre personnel, je n'aime pas les fachos. A titre professionnel, je déteste les censeurs.