Elle cible plus particulièrement les ados, à travers une mise en scène suggestive : 3 jeunes, genoux à terre, clope au bec, le teint blafard et l’œil vide, sont à priori contraints d’effectuer une «clop’ fellation » à un homme en costume – comprenez un magnat du tabac.
Je dis « contraints » parce que c’était l’intention de l’agence de pub : la photo est accompagnée du texte « fumer c’est être esclave du tabac », et la main sur la tête des ados les maintient à priori dans cette position.
Selon l’association de Droits des non fumeurs:
« Les affiches traditionnelles n’interpellent plus les jeunes : quand on a 25 ans et qu’on a l’impression d’être invincible, la maladie, ça paraît bien lointain… »,
Elle a donc sciemment choisi une photo à connotation sexuelle pour « attirer l’oeil:
« Le message est simple : la cigarette est un partenaire que le jeune va s’imposer à lui-même et dont il ne pourra plus se séparer ».
Rappelant la hausse du tabagisme chez les jeunes, L’Association des non-fumeurs dit vouloir ainsi
«réagir à l’indifférence désespérante des jeunes à l’égard des discours anti-tabac» et «rompre avec la tiédeur des campagnes préventives».
«Depuis 18 ans on essaie d’informer les jeunes sur les dangers du tabac, explique Gérard Audureau, président de DNF. Jusqu’à maintenant, on l’a fait gentiment, sur l’aspect santé, avec des poumons détériorés», mais «les jeunes se sentent invincibles, immortels».
«L’aspect sexuel les touche beaucoup plus que la maladie», dit-il.
Alors vous imaginez que même si l’on ne voit pas le moindre petit bout de pénis, la connotation est telle que cela fait grand bruit.
Médias, politiques, bloggueurs : depuis quelques jours tout le monde donne son avis, les sondages explosent. Va-t-on trop loin ? Est-ce trop choquant ? N’est-ce pas moraliste de dire qu’une fellation est forcément une soumission ?
La secrétaire d’État à la Famille, Nadine Morano, a fait savoir qu’elle demanderait, « au titre de l’outrage public à la pudeur », l’interdiction de cette nouvelle campagne.
L’association Familles de France a déposé une plainte devant le jury de déontologie publicitaire pour cette campagne qu’elle juge « ambiguë » et « déplacée ».
Même insurrection du côté des féministes : « A ma connaissance, pratiquer une fellation ne provoque pas le cancer », ironise la co-fondatrice du Mouvement de libération de la femme dans le journal Le Parisien.
En clair, tout le monde juge la publicité, sur des questions morales.
Ce qui me parait intéressant là-dedans, c’est que ce « mini incident » fonctionne comme un indicateur : notre société est bien plus puritaine que ce que l’on veut nous faire croire.
Mais finalement, dans ce brouhaha médiatique, personne ne parle d’impact.
Les publicitaires se réjouissent : « on a fait le buzz », « on a gagné en visibilité », « sur ce coup on abattu tous les records ».
Youpi pour eux…
mais qui peut nous dire aujourd’hui si cette affiche va avoir un écho dans la tête d’un ado fumeur ?
Où trouve-t-on les réactions des jeunes face à cette pub ?
Va-t-elle seulement avoir un effet préventif ? Un jeune va-t-il se dire « allez, je ne veux pas être soumis, ni donner du plaisir à un marchand de tabac, je ne commence pas ? »
Un autre va-t-il se frapper le front, illuminé et écraser sa clope sur le banc du lycée en jurant de ne plus recommencer, au nom de la liberté ?
Personnellement, j’en doute.
Autant une campagne de prévention contre le Sida peut inciter à mettre des capotes, une campagne de prévention routière peut rappeler aux gens de boucler leurs ceintures, mais il me semble que les objectifs des campagnes anti-tabac sont beaucoup plus complexes à atteindre, et surtout auprès des jeunes.
- D’abord parce que lorsqu’on est jeunes, on se dit que la maladie c’est pour notre anniv des 40 ans, et que d’ici là on a le temps de vivre.
- Aussi, parce que c’est un message qui, quelque soit le ton, leur dit ce qu’il faut ou ne pas faire,
- Ensuite parce que c’est un moment où on tourne en dérision pas mal de choses, qu’on singe les pubs, les médias, et que la campagne sera un déclencheur de plus pour partir en délire. Enfin, moi à l’époque, je l’aurais certainement parodiée, avec force mauvais goût.
- Et enfin parce que le fumeur a une mauvaise foi à tout épreuve ! Jeune ou pas jeune, il n’est pas niais, il connaît toutes les conséquences du tabac, mais il a une capacité magique, celle d’oublier cette réalité cruelle, parce que l’idée du plaisir gomme la raison : « oui je sais bien, mais bon. Blop »
Du coup, que peut-on faire ?
Imaginer d’autres ressorts basés sur le fait que fumer= mauvaise estime de soi, fumer= impopularité ?
L’idée de la perte de liberté imaginée dans cette dernière campagne me plait bien, mais il est vrai qu’on peut la lire comme une perte de liberté sexuelle, l’ambiguïté fonctionne donc à plein.
Je pense que le film d’Yvan Attal qui joue sur les ressorts de la naïveté fonctionne mieux, et puis on voit les visages sadiques des gens de l’industrie du tabac :
Et vous, que pensez-vous des campagnes anti-tabac ?
Ont-elles eu un impact sur vous ? Et si oui, à quel moment de votre vie ?
Et avez-vous eu des retours de la part d’ados sur cette pub ?
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