L’arbre et la forêt (Olivier Ducastel et Jacques Martineau, 2008): chronique cinéma

Par Cineablog

Un film de Jacques Martineau et Olivier Ducastel
Avec Guy Marchand, Françoise Fabian, Sabrina Seyvecou, Yannick Renier, François Négret, Catherine Mouchet, Pierre-Loup Rachot
Genre: drame
Pays: France
Durée: 1h37
Date de sortie: 3 mars 2010


Depuis plus de soixante ans, Frédérick, sylviculteur passionné mais tourmenté, cultive un secret qui a déterminé toute sa vie. A la mort de son fils aîné, les tensions au sein de la famille éclatent. Il y a Guillaume, le fils cadet, marié et père de deux enfants, qui ne supporte plus l’indifférence de ce patriarche distant, Delphine, la fille unique du défunt qui comprend tout à coup combien les liens familiaux peuvent peser et enfin Marianne, l’épouse de Frédérick qui semble partager avec lui ce secret insondable. Par sa méchanceté, son comportement excentrique et ses remarques acerbes, Frédérick provoque un malaise sans précédent dans la famille jusqu’au soir où il décide de dévoiler son passé, le vrai.

Sélectionné au dernier Festival de Berlin et récompensé du Prix jean Vigo en 2009, L’arbre et la forêt est une chronique familiale tragique, non pas par son caractère exceptionnel mais au contraire par son réalisme quotidien. Une sorte de huis clos qui prend pour cadre une demeure bourgeoise perdue au milieu d’une vaste forêt que Frédérick à planter tout au long de sa vie. Cette demeure et ces arbres sont son héritage mais le secret qu’il va soudainement révéler va remettre en question cette transmission. Frédérick n’a vécu que pour ses rêves non réalisés, sa passion pour la musique de Wagner et les arbres qu’il a planté et qu’ils l’ont sauvé de son passé trouble. Pour ne pas avoir été la personne qu’il prétendait être, Frédérick n’a cessé de se cacher derrière ces arbres, sa profession.

Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le duo de cinéastes déjà réunis pour Jeanne et le garçon formidable en 1998, Ma vraie vie à Rouen en 2003 et Crustacés et coquillages en 2005, aborde les thèmes du secret familial et de ses conséquences avec pertinence et justesse en doublant un travail d’écriture et de dialogues précis à une mise en scène sobre et discrète. Les individus sont le cœur de l’intrigue, chacun révélant ses peurs et ses frustrations sur le mode de la colère ou de la distanciation. Guillaume, le second fils qui ne s’est jamais senti aimé, Delphine la petite-fille qui apprend la vraie nature de son père défunt, Marianne qui a su pendant toutes ces longues années vivre avec le fardeau de ce secret. Tous ces non-dits et ces silences sont un cyclone dont le secret est l’œil central. La tempête gronde, au sens propre comme au figuré, et menace de coucher les arbres qui ont jusque là protégé l’équilibre de la famille.

Le film ne joue pas la carte d’une révélation finale fracassante mais bien au contraire d’un glissement progressif qui donnent à la seconde partie un éclairage subtil sur la précédente. La première scène entre autre, ne prend pleinement son sens que bien plus tard, une fois le secret révélé et les sentiments d’angoisse de Frédérick partagés. Le patriarche apparaît successivement comme un être sévère et sans émotions, puis fragile et anxieux pour le devenir de la famille. Guy Marchand apporte à son personnage toute sa force de caractère et son aplomb aussi bien qu’une note d’inattendu et de calme. Le reste du casting est tout aussi juste, Françoise Fabian incarne avec brio cette femme que cette vie pesante n’a pas brisé, Sabrina Seyvecou apporte cette émotion dans le rôle de Delphine, enfin François Négret pousse son personnage, Guillaume, dans les affres de la culpabilisation.

L’arbre et la forêt, un film d’une intensité rare sur la gravité du silence et comment les liens familiaux, forcément fragiles lorsqu’ils ne sont pas cultivés, peuvent se fracasser à l’horizon de vérités inattendues. Plus profondément le film aborde un pan de l’histoire récente du XXè siècle qui a pu façonner d’une certaine manière la société actuelle. L’amour et le soutien de sa famille et de ses proches n’est pas toujours chose acquise, Frédérick s’est tourné vers les arbres pour n’avoir plus cru en l’homme. Contrairement à ce dernier, ils se tiennent droit et implacables en toutes circonstances. Aux yeux de Frédérick ils possèdent une certaine vérité et une grande sagesse plus difficile à trouver chez nos contemporains.