Bernard-Henri Lévy était dimanche l’invité de l’émission de Nicolas Demorand, C Politique, sur France 5. Une émission généralement intéressante, avec un interviewer qui sait mettre ses invités à l’aise et leur laisse le temps de s’exprimer. Des conditions idéales pour un philosophe, dont la complexité de la pensée ne saurait être traduite en quelques phrases chocs.
BHL présente bien : élégance décontractée (chemise blanche, pas de veste), chevelure argentée, à l’aise avec la caméra. BHL maîtrise bien la langue française, énonce des phrases bien construites et cite, en 45 minutes de conversation, un certain nombre de philosophes connus. Sur la forme, c’est donc parfait.
Sur le fond, par contre, on se sent comme le convive affamé attendant le plat suivant (qui n’arrivera jamais, hélas) : on reste sur sa faim. L’épaisseur de la pensée BHLienne est inversement proportionnelle à la blancheur de sa chemise.
BHL est invité à s’exprimer sur différents sujets d’actualité, et il est clair qu’il a un avis sur tout, mais vraiment pas grand-chose à dire :
- Le paysage médiatique actuel n’a ni mémoire ni avenir, le débat politique est donc caractérisé par la dictature des petites phrases
- Le débat sur l’identité nationale est une infamie, tant mieux qu’il soit enterré, et maintenant il faut d’urgence changer le nom du ministère de l’identité nationale
- Le socialisme est mort en 1989, la galaxie communiste a explosé, il n’en reste désormais que des débris (le PS en est un)
- Le PS étant mort, il faut créer un nouveau parti de centre gauche pour espérer battre Sarkozy en 2012
- La gauche doit se réinventer (en acceptant le capitalisme)
- Sarkozy a été bon sur la gestion de la crise financière
- Etc.
Le tout est très joliment dit, mais on n’entend pas une idée qui n’ait déjà été 100 fois écrite ou prononcée ces dernières années. Qu’apporte donc le regard du philosophe ? En quoi propose-t-il une vision distanciée sur cette époque complexe ? Quel sens donne-t-il aux transformations actuelles de notre monde ? A quoi cela sert-il d’avoir lu les textes des philosophes les plus connus (et même de ceux qui n’existent pas, cf. Botul) pour n’avoir que des platitudes à débiter sur l’actualité et la fin du socialisme ?
Le lecteur d’American Vertigo ne sera probablement pas très surpris par ce constat. Ce livre, agréable à lire, proposait une balade divertissante dans des endroits historiques, pittoresques, révélateurs de l’Amérique d’aujourd’hui… mais où était donc la distance et la profondeur du philosophe ?
Là où notre philosophe se rapproche le plus du comptoir et de ses discussions houblonnées, c’est quand Nicolas Demorand l’interroge sur l’écologie. Moue de l’intéressée. L’écologie n’est certainement pas l’avenir du socialisme, et les annonciateurs de catastrophes à venir sont d’excessifs pessimistes. En une phrase, BHL livre son verdict (remarquable, sur un sujet aussi complexe) : c’est par la technologie que l’on résoudra les dérives environnementales de nos sociétés.
Que BHL ne soit pas un expert des questions d’écologie ni des mécanismes expliquant les déséquilibres dont souffre notre planète, soit. Mais que le philosophe vote aussi aveuglément pour le progrès scientifique, sans même s’interroger sur les notions de progrès, de consommation et de surconsommation, d’abondance et de rareté, de rapport entre court et long termes, de rapport de l’Homme avec son écosystème, etc. eh bien, voilà qui est fort peu… philosophique.