Lovely Bones - The Story of a Life and Everything That Came After

Par Ashtraygirl

On ne présente plus Peter Jackson. Le maître d'oeuvre de la saga réputée inadaptable de Tolkien a depuis longtemps gagné le respect des cinéphiles de tous bords (en tous cas le mien) en même temps qu'il a su rendre ses lettres de noblesse à un genre un peu épars, tout en imposant un univers bien à lui et surtout des méthodes de travail parfois atypiques. Depuis le succès planétaire du Seigneur des Anneaux, chacun de ses projets est scruté à la loupe, et ardemment attendu au tournant.  
Réalisateur de l'impossible, il démontre aujourd'hui, une fois encore, toute l'étendue de son talent, en réussissant parfaitement à rater totalement un film semi-excellent.
Explication en deux temps.
Car c'est comme ça que j'imagine un monde parfait...
Là, comme ça, j'ai envie de dire que Peter a craqué son slip. Et pas qu'un peu. D'une, on l'imagine mal sur ce genre de projet. L'habitude, sans doute. Qu'est-ce qu'un adepte des gorilles géants vient fourrer son nez dans le récit d'un meurtre sordide frappant au coeur une famille sans histoires? Ah... Peut-être le fait que la-dite histoire soit contée par la morte en personne, depuis... le paradis. Ou son seuil, ce qui, ici, revient au même. C'est sûr, ça motive un homme, ce genre d'étrangeté scénaristique. Mais lorsque cet homme se met en tête d'illustrer les abords de l'Eden, tout se complique. Qu'est-ce que le grand prêcheur de Tolkien vient se fourvoyer dans un exercice aussi casse-gueule? La Montagne du Destin lui aurait-elle donné des idées de grandeur? Il est vrai que, ayant déjà atteint le sommet, on se demande bien ce que Peter Jackson pourrait faire de plus épatant encore à l'heure actuelle. Et c'est sans doute cette pensée qu'il l'a poussé dans le fossé. L'ascencion, encore et toujours. Ayant frôlé les cieux avec Le Seigneur des Anneaux, il lui fallait maintenant y mettre les pieds... Grave erreur!
J'ignore ce qu'Alice Sebold a décrit par rapport à ce fameux paradis dans son roman, mais rien de ce qui pouvait y être écrit ne justifiait un tel massacre visuel. Car ce paradis est loin de l'être d'un point de vue cinématographique. J'irais même plus loin en parlant de véritable suicide artistique, surtout lorsque l'on passe devant un Avatar, par exemple. Il y a dix ans, Lovely Bones aurait fait un malheur, mais aujourd'hui, il rend tout simplement malheureux.

Débauche de couleurs issues tout droit d'une palette d'aquarelles à peine diluées, profusion d'éléments censés être poétiques mais plus certainement lourdingues, variation inexpliquée et grossière du temps, de la météo, et de l'envrionnement, tout ressemble a un gribouillage enfantin dans lequel un gamin de cinq ans aurait illustré avec moult défauts son "monde parfait". C'est aussi incroyable que maladroit, aussi irréel que décevant. Et le fait que les effets spéciaux se voient comme le nez au milieu de la figure n'a finalement que peu de rapport avec ce ratage. J'ignore s'il existe une vie après la mort, mais je croise les doigts, si c'est le cas, pour qu'elle ne ressemble pas à cela. Parce que danser dans une grande prairie atiffée en papillon géant ne fait définitivement pas partie de mon programme, ni non plus de dormir sous la surface de l'eau. Tout est tellement naïf (les arbres, la baba-cool attitude, le soleil et les cascades en suspension) que j'ai eu l'affreuse sensation de me trouver dans un clip d'Ilona (bénis soient les ignorants), cernée par de la guimauve en mouvement. Ils ont poussé le vice jusqu'à nous coller le thème désormais attitré d'Air France sur une réunion de jeunes filles en fleur au beau milieu d'un champ de blé, le paroxysme de l'exaspération étant atteint lorsqu'une gamine se met à brailler, mains levées vers le ciel "c'est le paradis!". Pas pour tout le monde ma jolie, hélas! Pénible, c'est le mot qui définit au mieux cette expérience de l'au-delà. La question est de savoir, maintenant, si cela reflète la vision personnelle de Jackson, auquel cas je m'inquiète vraiment pour sa créativité tant le tout manque franchement de subtilité, ou celle de Sebold (l'auteure), auquel cas la fidélité à l'oeuvre d'origine est excessive et néfaste au film. Là où l'on aurait dû voir de belles images (la séquence des bateaux dans les bouteilles s'échouant sur le rivage est cependant fort jolie), ne demeure qu'un ramassis indigeste de clichés seventies. Quel plantage, mes aïeux!

"J'avais quatorze ans, quand j'ai été assassinée..."
Fort heureusement, Lovely Bones ne se borne pas à cette représentation indigeste de "l'entre-deux mondes". Derrière la vision enfantine d'un monde idéal fantasmé se joue une tragédie tout ce qu'il y a de plus réelle et de crédible. Et c'est là ce qui sauve le film de la noyade numérique. De l'autre côté du paradis, il y a le monde des vivants, un monde où les souvenirs hantent ceux qui restent, où la vie est difficile à accepter quand la mort guette tout près. Peter Jackson revient en force dans cette partie du récit, démontrant, en plus d'un savoir faire évident pour ce qui est de mettre en valeur la tension dramatique de son histoire, une sensibilité jusqu'ici insoupçonnée, en même temps que l'on ressent une rélle empathie pour son sujet. Lovely Bones est une histoire qui l'a ému aux larmes, et cela transparaît véritablement à l'écran. Il réussit à nous impliquer, à nous concerner par ce qui frappe si durement la famille Salmon. Tout ce que le film recèle de trésors est là, confiné dans cette rue d'un quartier résidentiel tranquille, où se côtoie sans se toucher détresse et noirceur absolue. Outre une mise en scène bien rôdée, c'est la façon dont la caméra s'invite dans le quotidien des protagonistes qui fait mouche. Elle va les chercher pour les débusquer au plus près de l'objectif, sans voyeurisme, mais avec cette volonté farouche de les sonder, d'en extraire la plus infime émotion, pour mieux les comprendre.

La qualité des interprètes, ici, est primordiale. Dans le rôle des parents de la jeune Susie, Rachel Weisz et Mark Wahlberg (poignant) suscitent aisément l'empathie, tant leur jeu, tout en retenue et pétri de blessures indicibles, bouleverse profondément. Ils donnent un sens à une tragédie qui, autrement, n'aurait revêtu que l'aspect d'un triste fait divers. Ici, à travers eux, on comprend mieux les stigmates d'une telle perte - celle d'un enfant - ce qu'elle implique de remords, de regrets, et de sentiments de culpabilité, vis-à-vis de son enfant, de son conjoint, de ceux qui restent... Toutes leurs réactions, toute l'expression de leur chagrin, de leur révolte, de leur refus à accepter ou, au contraire, de leur besoin d'oublier, fleure bon la sincérité. Lovely Bones révèle enfin son essence la plus profonde: le récit d'un deuil impossible, douloureux, et du long chemin à parcourir pour pouvoir apprivoiser l'absence de l'être aimé, le conjuguer au passé tout en y pensant plus sereinement au présent.
Dés lors, la tragédie touche jusqu'au paradis, car de là où elle se trouve (endroit aussi factice soit-il), la jeune Susie ne peut se résoudre encore à partir, définitivement. Trop de regrets, trop de colère et de tristesse la hantent encore, lui rendant le départ impossible, tant qu'elle non plus n'a pas fait le deuil de sa vie terrestre. On regrettera cependant que ses préoccupations soient par trop futiles, comme cette résolution étrange d'honorer le rancard que LE garçon lui a donné et auquel elle ne peut assister que depuis "l'autre côté", ou encore celle de l'embrasser (le temps d'une "possession temporaire" de corps) plutôt que de le mettre sur la piste de ses restes. Son manque de combattivité par rapport à son assassin a de quoi étonner aussi, a fortiori quand on sait qu'elle parvient à faire ressentir sa présence à son père, qui n'a pas abandonné les recherches, lui. Saoirse Ronan a beau avoir l'un des plus charmants minois que l'on ai vu jusqu'alors (et jouer avec beaucoup de maturité et de fraîcheur), elle peine néanmoins à émouvoir à travers ce personnage que l'on jugera par trop naïf, à l'image de son entre-deux mondes.
Dans le rôle de l'assassin pervers, Stanley Tucci créé la surprise. Grimé de la tête aux pieds, quasi méconnaissable, l'acteur bonne bouille se glisse ici dans la peau du bidochon aux instincts sanguinaires, avec une justesse impressionnante, surtout quand l'on sait son aversion totale pour le rôle en question. Brillant, glaçant, il inspire haine, colère, et dégoût, le genre d'émotions extrêmes que provoquent les criminels les plus méthodiques.
Enfin, j'ai eu un méga coup de coeur pour miss Sarandon, génialissime dans ce rôle de grand-mère résolue à ne pas vieillir, véritable bouffée d'air frais dans cette chronique pénible qui semble ne jamais atteindre son but.
Hélas, Lovely Bones ne se contente pas d'un univers onirique naïf en parallèle de la réalité, mais sert également une morale bien pensante, tiède, clichée et finalement plus frustrante que salvatrice. Le genre de morale que l'on croise dans les contes pour enfant, où "chacun aura un jour ce qu'il mérite". Piètre conclusion à une histoire déjà boiteuse, qui s'achève sur une réplique dégoulinante. Hmpf.

En résumé, Peter Jackson réussi son incursion dans le drame tout ce qu'il y a de plus humain, livrant avec une belle authenticité le témoignage d'une famille ordinaire frappée par le malheur et qui ne cherche, finalement, qu'à comprendre, pour continuer d'avancer. Un récit émouvant qui reflète une démarche sincère de la part du réalisateur, de façon très aboutie et très subtile. Mais, dans le même temps, il se gourre d'univers et oublie ses raccords avec l'édification de cet "autre monde", pêchant par trop d'inesthétisme (ou d'ésthétisme, paradoxalement) et de naïveté, faisant passer de fait le discours philosophique de l'ensemble à la trappe, tant l'on se focalise sur les énormes défauts de cette pièce-montée écoeurante sans prise directe avec le plancher des vaches. En clair, l'ensemble aurait gagné en cohérence et en force à ne pas se disperser. Ceci étant, ce film pouvait-il vraiment être réussi, compte-tenu de son postulat de base?
Un semi échec, donc, que je qualifierais plutôt de semi-réussite, et que je tâcherais d'approfondir malgré tout par la lecture du roman éponyme, en attendant avec moins d'impatience peut-être mais bien plus d'indulgence le prochain projet de Peter Jackson.


*Indice de satisfaction:
*2h08 - Américain, néo-zélandais, britannique - by Peter Jackson - 2009
*Cast: Saoirse Ronan, Mark Wahlberg, Rachel Weisz, Stanley Tucci...
*Genre: "Car c'est comme ça que j'imagine un monde parfait!"
*Les + : Tout ce qui touche au réel, à notre monde, à la tragédie et au thriller, est parfaitement maîtrisé, et avec une belle authenticité en prime, le tout interprété brillamment.
*Les - : Tout le partie "onirique" est consternante de naïveté new-age à laquelle on peine à adhérer, les images par trop factices renforçant cette sensation d'incrédulité et d'agacement.
*Liens:
Fiche film Allocine
   Site officiel
*Crédits photo: © Paramount Pictures