Ce titre d’un hyper classicisme m’a surprise de la part de Patrick
Beurard-Valdoye, que j’ai toujours vu comme un novateur. Il m’a semblé comme
sous une légère poussière, fut-elle grecque. Mais, si en effet, il est aussi
bien question d’Histoire, il y est surtout question d’histoire, voire
d’expérience, fut-elle grecque. L’expérience fulgurante du désir (d’essence
grecque), dont il est question ici, de manière centrale, est hautement risquée
en poésie, davantage encore qu’en prose. Mais à peine le livre ouvert, quel
étonnement devant le flux, fût-il grec.
Patrick Beurard-Valdoye est proche des fleuves, nous le savons, à l’instar d’un
autre « grec », Hölderlin. Le « messager » d’Aphrodite, la
déesse, l’aimée, la fluviale, écrit un long poème, parfois énigmatique, le plus
souvent simplement superbe, avec de longs mouvements sensuels suivant celui des
corps. Il est assez facile pour quelqu’un qui sait à peu près écrire, de le
faire sur l’amour, le désir, l’approche des corps ; c’est déjà beaucoup
plus difficile dans un poème, une fois dépassés les poncifs de nos illustres
aînés, notamment sur la femme. Ici celui qui fait les gestes n’est pas moins
important que celle qui les reçoit, les provoque, les demande, y consent.
« et la prosodie prend c’est inouï
met le corps en branle
Les mots jamais esseulés dont elle est
Inondée la peaufinent »
En effet le poème est fleuve, essentiellement par sa prosodie, son rythme
violemment moderne, sa mélopée lancinante, ses vagues sous jacentes, son
silence face au corps devant lui. Traversées de toutes les eaux de l’amour,
pour la sirène qui provoque innocemment ce chant, mais elle-même se trouve
prise éprise.
Le messager d’Aphrodite avec son
titre sage est d’une réjouissante modernité, bouscule le langage vers la mer
autant que la sirène, et charrie une sensualité magnifique, non effrayée.
« Voix d’un gémir hors d’elle », c’est bien sûr la jouissance, c’est aussi
bien la voix de la poésie, depuis les grecs. Comme c’est vivant !
Contribution Isabelle Baladine Howald
Patrick Beurard-Valdoye, Le messager
d’Aphrodite Obsidiane68 p13,50 euros