Récemment encore, une personne me demandait si le sport que je pratique me fait du bien. Je réponds calmement, la personne étant néophyte, que je ne fais plus de sport depuis que j’ai arrêté le tennis à l’âge de 10 ans. « Mais et l’aïkido » me répond-il ? "C’est un art martial, pas un sport". Incompréhension totale sur le visage de mon interlocuteur.
Cette discussion, tous les pratiquants de Budo l’ont déjà entendu depuis longtemps. Mais il n’est pas toujours facile dans l’esprit de tous d’établir une
distinction nette et précise. Pour ceux qui lisent le blog de Léo Tamaki (cherchez sur son blog les mots clés : Budo, bujutsu, kakutogi), il suffit de se reporter aux nombreux articles sur
ce sujet, qui sont très intéressants. Pour les autres, la réponse est assez facile : la différence entre les arts martiaux et le sport, c’est la compétition. Pourquoi la compétition est-elle
un point déterminant de séparation des genres. Parce que la compétition entraîne un grand nombre de modifications dans la pratique.
Tout d'abord, l’esprit de la pratique sportive vise à gagner. C’est donc un jeu, plus ou moins brutal je l’accorde, mais cela reste un jeu où l’on marque des points. Le Budo ne propose pas de jeu, mais une étude permanente. La mise en pratique de cette étude vise à la destruction la plus rapide et efficace possible de l’adversaire. Imaginez les JO d’hiver à Vancouver. Si le ski était un budo, chaque skieur tenterait de virer les autres de la piste en les guidant vers des sapins ou une crevasse. Mais comme c’est un sport, les skieurs tentent d’aller le plus vite et de gagner sans faire de faute. Le Budo ne préconise pas la victoire à tout prix. Il enseigne parfois qu’il vaut mieux éviter la confrontation, savoir se retirer, esquiver une difficulté, ne s’engager qu’à coup sûr où si on n’a pas d’autres choix. La compétition n’a donc pas sa place dans le Budo.
(La savate française début du 20ème siècle)
Ensuite la technique sportive. Encore une fois, le but est de gagner, soit en étant le plus rapide, ou en marquant des points. Pour cela, on a établi des règles qui permettent de marquer des points en réalisant certaines techniques et en interdisant les techniques à risque. Le tennis est ainsi un sport divertissant ou pour marquer des points les athlètes cherchent à placer la balle le mieux possible, sans sortir du terrain. Si le tennis était un budo, la balle de service viserait l’œil ou les parties de l’adversaire, puis le serveur sauterait au-dessus du filet pour enfoncer le cadre de sa raquette dans le crâne. Dans le Budo, il n’y a pas de règles qui préconisent de ne pas faire mal à l’autre. Au contraire, la douleur est une partie essentielle à l’apprentissage. En revanche au dojo, on demande à exécuter doucement les techniques à graduer la douleur pour qu’elle devienne un outil de compréhension de la technique. Ainsi, les budoka peuvent apprendre à exécuter une technique en ressentant, sans se détruire. Cette méthode donne de très bons résultats. Pour preuve, comparativement il y a bien moins de budoka qui se blessent que de sportifs. Mais une fois la technique acquise, si elle doit être mise en application pour se défendre, tout sera fait pour détruire l’autre et non, encore une fois, pour jouer avec lui.
(Mitsuzuka Senseï, de l'école de iaïdo Sanshinkai)
Cela nous amène à considérer l’entraînement sportif. Celui-ci vise à pousser le plus vite possible une personne lambda en athlète. Pour cela, l’entrainement vise à l’amélioration musculaire et tendineuse, sans pour autant chercher à comprendre finement les mécanismes mis en branle par chaque mouvement. De plus, le développement du corps sera différent selon le sport choisi. Un haltérophile ne se prépare pas comme un sauteur à la perche, c’est assez évident. On peut répondre à cela qu’un karatéka ne se prépare pas comme un aïkidoka non plus. En effet, la préparation n’est pas la même, mais le résultat recherché est commun : souplesse, puissance, endurance physique et mentale, esprit de sacrifice. Les pratiquants à haut niveau se rejoignent facilement. Il suffit de regarder les chercheurs en Budo (Kono, Hino, …) pour s’apercevoir qu’en approchant du sommet de la montagne, les corps et les principes se confondent.
(Ginshin Funakoshi, fondateur du karate Shotokan, entraînement au makiwara)
L’esprit de sacrifice n’est pas un vain mot et ce point est également à considérer de près. Pour un sportif, il s’agit de sacrifier beaucoup de temps et d’énergie pour réussir à marquer des points dans le cadre imposé par son sport. Cet esprit de sacrifice va permettre, grâce à un entrainement intensif, d’arriver à des performances impressionnantes. Mais le corps aura tellement donné que les grands champions dépassent rarement la trentaine d’années avant de raccrocher. Dans le Budo, l’esprit de sacrifice porte sur trois aspects. Continuer un entrainement régulier tout au long de sa vie, sans esquiver les difficultés, mais avec pour but de durer le plus longtemps possible dans sa discipline. J’admire Tamura Senseï pour cela, qui affirme qu’il ne souffre d’aucune douleur sur le tatami grâce à sa gestion corporelle. Le second aspect de la notion de sacrifice est le don de soi à son maître. C’est un sacrifice dans la mesure où l’on accepte complètement son maître, malgré ses côtés parfois tyranniques ou très humains, car après tout ce n’est pas un dieu vivant non plus. Le sportif aura tendance à quitter son entraineur si celui-ci lui pourrit l’existence. Dans le Budo, ce n’est pas le cas, car l’enseignement reçu est un trésor qui n’est pas interchangeable. Chaque maître apporte son savoir et sa compréhension. Cela me fait penser à mon propre senseï qui ne supportait pas le sien, mais qui lui a toujours été reconnaissant de tout ce qu’il a appris. Enfin, le sens du sacrifice au combat. Le sportif sait qu’il ne risque pas trop d’accident, car les règles de la compétition le protègent, même si c’est un boxeur de Muay thaï. En revanche, en Budo, le combat est total. C’est pourquoi j’aime beaucoup la phrase de Hastumi senseï qui dit que dans un combat « ce n’est pas tant vaincre que de ne pas perdre qui est important ». On est loin de l’esprit qui dirige le sport. Ici c’est une question de vie ou de mort. Mais s’il n’y a pas d’autre chois que de se battre, alors, il ne faut pas chercher à se protéger. L’engagement doit être total et se sacrifier s’il le faut pour arriver à détruire l’autre. Se détruire par la même occasion ne doit pas être un frein à la technique. C’est donc bien un sacrifice de soi au sens premier du terme.
Tout distingue donc le sportif du budoka. Mais alors, le judo, le karaté, le taekwondo et autres budo sont des sports ? Oui dès que la notion de compétition - et de règles dans le déroulement de celle-ci - sont introduites dans la pratique. Il suffit de se rappeler que judo signifie la voie de la souplesse. Lorsque l’on regarde une compétition de judoka aujourd’hui, on cherche désespérément la souplesse. J’ai habité longtemps à Paris à côté du dojo de judo de Pierre Le Caer (7° dan), boulevard de la Chapelle. M’y rendant par curiosité un samedi, je tombe sur un cours de bokken. Du coup je demande les horaires des cours de judo auprès d’une personne présente, car c’est cela que je venais voir. La personne en question était le maître des lieux et il me répond, « mais c’est du judo que vous voyez, des katas avec bokken ». Je découvrais le judo véritable, qui est à des années lumières de ce qui s’est répandu à travers le pays. Ainsi, quelle que soit la discipline, si l’esprit du Budo est préservé alors il s’agit toujours d’un art martial. Si vous êtes à la recherche d’un dojo suivant la Voie, renseignez-vous bien et demandez si le sport a eu le malheur de rentrer dans leur pratique.
(Jigoro Kano, fondateur du judo et Kyuzo Mifune, son meilleur élève)
Bonne pratique.