Le 1er mars 2010, les justiciables pourront soulever, y compris dans une instance en cours, par un mémoire distinct, une question prioritaire de constitutionnalité (”QPC”) s’ils estiment qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution (l’article 61-1 de la Constitution) et à conditions que la disposition contestée soit - applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites, - qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances - et que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux (article 23-2 de l’ordonnance de 1958 issu de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009).
Le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 organise la procédure devant les différentes juridictions administratives ou judiciaires (“QPC : Parution du décret organisant la procédure et du règlement du Conseil constitutionnel”, CPDH, 18 février 2010).
Le 1er mars les justiciables pourront se rendre de l’autre côté de la palissade en posant une question prioritaire de constitutionnalité
Dans ce premier billet, parmi les différentes étapes de la procédure devant la juridiction administrative de droit commun (TA, CAA et CE), nous nous penchons sur les deux premières : les modalités de dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité (1.) et leur instruction par la juridiction administrative (2.).
1. L’invocation de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)
Rappelons que la QPC peut être posée à tous les stades de la procédures, y compris pour la première fois en appel (article 23-1 ordonnance 1958 modifiée) ou en cassation et dans les instances en cours.
Il ne s’agit néanmoins pas d’un moyen d’ordre public. Le moyen ne sera donc pas soulevé d’office par le juge et il faut nécessairement qu’il fasse l’objet, de la part d’une partie, d’un mémoire distinct portant une mention spéciale.
1.1. L’invocation de la QPC à tout moment y compris en cours d’intruction et dans les instances en cours
Le décret du 16 février 2010 prévoit expréssement que la QPC peut être posée à tous les stades de la procédure et qu’elle pourra être posée dans les instances en cours.
Dans sa décision du 3 décembre 2009, le Conseil constitutionnel avait expressément mentionné que « la loi organique sera … applicable aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur ; … toutefois, seules les questions prioritaires de constitutionnalité présentées à compter de cette date dans un écrit ou un mémoire distinct et motivé seront recevables » (DC n°2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, cons. n° 37).
Ainsi, le texte prévoit expréssement, comme mécanisme transitoire, pour les instances en cours, c’est-à-dire les requêtes introduites devant une juridiction administrative avant le 1er mars 2010, que la QPC devra, pour être recevable, être présentée sous la forme d’un mémoire distinct et motivé « produit postérieurement à cette date» (article 7 du décret).
Le cas échéant, la juridiction ordonne la réouverture de l’instruction pour les seuls besoins de l’examen de la QPC, si elle l’estime nécessaire.
L’invocation d’une QPC n’a toutefois été enserrée dans aucun délai par le législateur organique. Elle peut donc être soulevée à tout moment de l’instruction de la requête, tant que celle-ci n’est pas close.
Si elle a été posée avant l’entrée en vigueur de la loi, il faut régulariser à partir du 1er mars 2010 la QPC en adressant de nouveau le mémoire distinct - on peut donc s’attendre à des embouteillages des greffes ce jour-là, surtout pour les instances pour lesquelles l’instruction a été close et déjà inscrites au rôle.
On remarquera donc, et c’est heureux, que, selon les réflexions internes au Conseil d’Etat, la loi organique devrait implicitement faire échec à l’application de la jurisprudence “Intercopie” (CE, section, 20 février 1953, Sté Intercopie), selon laquelle les moyens tirés d’une cause juridique distincte de celle invoquée dans le délai du recours sont irrecevables.
L’entrée en vigueur de la QPC, le 1er mars 2010, devrait en effet, selon mon oreillette, être regardée comme une « circonstance de droit nouvelle » au sens de la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 12 juillet 2002, M. et Mme Leniau; CE, section 27 février 2004, Préfet des Pyrénées-orientales c/ Abounkhila). En conséquence, après l’entrée en vigueur de la loi, la production d’un mémoire invoquant une QPC, après la clôture de l’instruction voire au cours du délibéré, devrait normalement imposer à la juridiction la réouverture de l’instruction, afin de pouvoir prendre en considération ce mémoire qui ne pouvait être présenté antérieurement, de façon recevable.
La disposition transitoire de l’article 7 s’applique à l’ensemble des juridictions, y compris judiciaires. C’est sûrement la raison pour laquelle, compte tenu des spécificités de la procédure civile, aucun délai précis n’a été fixé pour introduire la QPC dans les instances en cours (alors qu’il avait été envisagé de limiter, dans les procédures devant les juridictions administratives, à un mois le délai de dépôt de la QPC).
Il est néanmoins recommandé de le faire assez rapidement c’est-à-dire dans les semaines suivant l’entrée en vigueur - et même pour les affaires dont l’instruction a déjà été close, dans les jours suivants l’entrée en vigueur.
1.2. La présentation formelle de la QPC : la mention “Question prioritaire de constitutionnalité” et le mémoire distinct
1.2.1. La mention “Question prioritaire de constitutionnalité”
Le mémoire distinct et, le cas échéant, s’il n’est pas directement déposé au greffe, l’enveloppe le contenant, doivent porter la mention : “question prioritaire de constitutionnalité” (article R. 771-3 CJA et R.771-11 pour CAA et art. R. 771-13 pour le CE).
On retrouve là une exigence posée par le Code de la justice administrative pour les référés depuis le 1er janvier 2001 (article R. 522-3 du code de justice administrative).
Cette mention permettra l’identification rapide, par les greffes, des mémoires soulevant des QPC.
Si cette mention est donc l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il ne semble pas que l’oubli de cette formalité ait pour conséquence de rendre irrecevable la QPC.
Elle risque néanmoins d’engendrer un retard préjudiciable dans l’examen de la QPC si elle n’a pu être immédiatement identifiée par le greffe et entrer dans le circuit des QPC.
1.2.2. Le mémoire distinct
En revanche, si la QPC n’est pas présentée dans un mémoire “distinct et motivé“, comme l’exige la loi organique, elle pourra faire l’objet d’une irrecevabilité sans information des parties (Art. R. 771-4 CJA pour TA et CAA et Art. R.771-14 pour CE).
Il s’agit là d’une dérogation aux dispositions de l’article R. 612-1 du CJA en vertu dequelles normalement les conclusions entachées d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte après l’expiration du délai de recours ne peuvent être rejetées d’office qu’après que leur auteur ait été invité à les régulariser.
Selon la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2009, l’objectif de cette irrecevabilité de « faciliter le traitement de la question prioritaire de constitutionnalité et permettre que la juridiction saisie puisse juger, dans le plus bref délai afin de ne pas retarder la procédure, si cette question doit être transmise au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation » (considérant n° 8).
Imposer au juge administratif d’identifier, dès son enregistrement, au sein d’une requête ou d’un mémoire développant d’autres moyens, une QPC, puis d’inviter son auteur à régulariser ses écritures, ne répondrait pas à cette exigence.
Il n’a pas paru non plus souhaitable d’imposer aux juridictions, lorsque l’étude d’une requête ou d’un mémoire en réplique à l’issue de l’instruction de l’affaire fait apparaître qu’une question de constitutionnalité est incidemment soulevée, de différer l’examen du dossier pour inviter le requérant à présenter un mémoire distinct.
Si le juge devait préalablement informer les parties de l’irrecevabilité de la QPC qui n’est pas motivée et dans un mémoire distinct, ce préalable reviendrait, de facto, à inviter la partie intéressée à régulariser la QPC. Il serait néanmoins toujours possible aux parties de procéder spontanément à une régularisation, avant que l’irrecevabilité ait été opposée.
2. L’instruction de la QPC par la juridiction administrative
Il est prévu que la juridiction statue “sans délai” par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État (article 23-2).
Se pose néanmoins en contentieux administratif la question de l’ordre d’examen “classiques” des questions de procédure (trilogie “classique” :compétence, désistement-non-lieu, irrecevabilités manifestes insusceptibles d’être couvertes), en cas d’invocation d’une QPC.
2.1. L’obligation de statuer « sans délai »
Que signifie « sans délai »? Selon le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel de la décision du 3 décembre 2009 : « Comme le Conseil constitutionnel l’a jugé en 2003 à propos des délais impartis au premier président de la cour d’appel pour se prononcer sur la demande d’effet suspensif de l’appel émanant du procureur de la République, « sans délai » signifie « dans le plus bref délai ». Le but recherché par cette disposition est que le temps d’examen de la transmission et du renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, puis le temps d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité elle-même s’impute sur le délai d’instruction de l’affaire et ne la rallonge pas ».
Au cours de la discussion de la loi organique, l’Assemblée avait envisagé d’enfermer l’examen d’une QPC dans un délai de 2 mois mais, en définitive, c’est cette expression «sans délai » qui a été retenue.
On est donc dans une logique proche du référé-suspension en terme de célérité.
Rappelons aussi qu’à peine de dessaisissement, le Conseil d’Etat dispose d’un délai de 3 mois pour statuer, lorsqu’il est lui-même saisi.
Au bilan, selon la doctrine interne au Conseil d’Etat, sauf circonstance particulière, « le plus bref délai » dans lequel le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel, saisie pour la première fois, doit se prononcer sera « de l’ordre de deux à trois mois».
2.2. L’articulation de l’ordre d’examen des questions de procédure et de la QPC et le risque d’ordonnance présidentielle de “tri”
Selon le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel de la décision du 3 décembre 2009, qui rappelons-le n’a aucune valeur juridique : « La question prioritaire de constitutionnalité constitue un motif juridique invoqué par une partie au soutien d’une de ses prétentions. Elle ne peut donc constituer la cause ou l’objet principal de l’instance : elle est soulevée au soutien d’une demande d’une partie et elle en est l’accessoire jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel en soit, le cas échéant, saisi ».
Autrement dit, c’est une procédure incidente qui ne change rien à l’ordre d’examen des questions de procédure. Ainsi, selon la doctrine interne du Conseil d’Etat, l’invocation d’une QPC “ne saurait faire échec à l’ordre normal d’examen des questions de procédure par le juge”.
La notion de “priorité” ne devrait jouer qu’à l’égard des autres moyens de fond soulevés par une partie à l’appui de ses prétentions.
On peut en déduire que même en cas de QPC, la juridiction devra toujours d’abord vérifier sa compétence pour connaître de la requête dont il est saisi, ensuite un éventuel désistement ou non-lieu et enfin s’assurer de la recevabilité de la requête.
Ce raisonnement explique que le décret ait prévu (R. 771-8 CJA et R.771-19) qu’il sera possible pour les présidents de « trier » la requête en application de l’article R.222-1 CJA (TA-CAA ) et R. 122-12 et R. 822-5 (Conseil d’Etat).
On peut craindre que cette possibilité de “tri”, dans le cas où la requête serait manifestement irrecevable (surtout le R.222-1, 7° “Rejeter, après l’expiration du délai de recours ou, lorsqu’un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé“) soit un régulateur face à un afflux des QPC.
On aurait pu imaginer que les ordonnances de “tri” soient maintenues à l’exception du R.222-1, 7°, dont certains présidents aiment abuser. Mais ce n’est pas le cas dans le décret paru. Il semble néanmoins qu’il résulte des réflexions internes du Conseil d’Etat que l’invocation d’une QPC devrait “sans doute” être de nature à exclure la requête du champ d’application du R.222-1, 7°.
Plus précisément, s’agissant de la possibilité de “trier” sur l’inopérance des moyens, cela pourrait être apprécié au regard de l’article 23-2 qui impose que « la disposition contestée (soit) applicable au litige ».
Au bilan, il est recommandé aux requérants de bien motiver en droit et en fait à la fois leur requête et le mémoire distinct aux fins de QPC qui l’accompagne afin de passer le “tri” (qui peut atteindre jusqu’à 25% des requêtes dans certaines juridictions). Il ne faut surtout pas que la motivation de la QPC soit motivée de façon si sommaire qu’elle puisse être regardée comme un moyen « manifestement (non) assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ».
En revanche, en cassation lorsqu’une QPC est posée à l’appui d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat se prononce sur le renvoi de cette question au Conseil constitutionnel “sans être tenu de statuer au préalable sur l’admission du pourvoi” (Art.R. 771-17 CJA).
Par ailleurs, la décision de transmettre la QPC ne sera pas en principe prise en formation collégiale puisque le décret prévoit la possibilité pour les présidents ou un magistrat désigné de statuer sur la transmission de la QPC par voie d’ordonnances (Art.R. 771-7 CJA). Mais il sera toujours possible de renvoyer en formation collégiale avec conclusions du rapporteur public.
L’hypothèse de spécialiser certains magistrats, comme pour les référés ou le contentieux de la reconduite ou le DALO, au traitement des QPC n’est pas exclue car le fait que tous les présidents de formations de jugement et des magistrats désignés puissent se prononcer sur la décision de transmettre la QPC engendre des risques de divergences surtout dans le champ de certains contentieux répartis sur plusieurs chambres (comme le droit des étrangers).
2.3. La procédure contradictoire d’instruction des QPC, la dispense d’instruction
Largement calquée sur le modèle du référé, la procédure appliquée à la QPC est contradictoire et enfermée dans des délais réduits.
A cette fin, le décret a prévu que si elle n’est pas “triée”, elle est notifiée aux autres parties dans un « bref délai » pour qu’elles puissent présenter leurs observations (R.771-5 CJA) ainsi que devant le Conseil d’Etat, au ministre compétent et au Premier ministre (R.771-15 CJA).
On peut imaginer que, sauf circonstances particulières, un délai d’une quinzaine de jours pourrait être laissé aux autres parties pour produire leurs observations sur un mémoire invoquant une QPC et ce, a priori, sans de mise en demeure en cas de non-respect du délai imparti.
Enfin, et surtout, si la QPC est manifestement irrecevable (Art.R. 771-5 et R.771-15.-: «s’il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu’il n’y a pas lieu de transmettre » car les conditions posées par l’article 23-2 ne sont pas remplies), elle risque d’être dispensée d’instruction comme dans le cadre de l’article R. 611-8 du code de justice administrative.
2.4. Le traitement des QPC sérielles
Pour les affaires sérielles, le décret prévoit que la juridiction n’est pas tenue de transmettre une QPC « mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi » (R.771-6 CJA pour TA et CAA et 771-18 pour le CE).
Dans ce cas, la décision au fond est différée, c’est-à-dire mis en attente, pour les TA et CAA, jusqu’à la décision du Conseil d’Etat et pour l’ensemble des juridictions administratives, le cas échéant, du Conseil constitutionnel (art. R.771-6 CJA et R. 771-18 CJA).
Là aussi cela répond à l’interprétation des commentateurs au Cahiers du conseil constitutionnel de la décision du 3 décembre 2009 - on dirait que le CE a tenu la plume du commentateur - qui estimaient que le bref délai imparti aux juges du fond « permettra également, dans les hypothèses de « contentieux de masse », qu’une juridiction, saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité et informée que le Conseil d’État, la Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par le même moyen, la même disposition législative, attende, avant de statuer sur la transmission, la décision qui sera rendue à l’occasion de la première question prioritaire de constitutionnalité transmise ».
On remarquera que la possibilité d’un traitement en série des QPC est élargi à l’ensemble des questions reposant sur un “même moyen”. C’est une hypothèse beaucoup plus large que le traitement sériel habituel (identité de faits et de droit). Ici il s’agira juste de questions identiques posées en des termes similaires même si les dossiers sont parfaitement distincts.
Cette possibilité de traitement des QPC sérielles est motivée par des soucis de “bonne administration de la justice” afin que le Conseil d’Etat puis le Conseil constitutionnel ne soient pas engorgés de QPC dupliquant la même question. Mais cela suppose la mise en oeuvre d’un système d’information ou d’alerte des magistrats administratifs performant dans lequel les QPC déjà posées soient systématiquement recensées en indiquant la ou les dispositions législatives mises en cause et le ou les droits et libertés constitutionnels atteints.
On peut imaginer que cela sera appliqué dans des contentieux comme celui de la majoration de pensions pour les pères de 3 enfants (affaire “Griesmar”), la cristallisation des pensions des anciens combattants, etc.
2.5. QPC et procédures d’urgence
L’article 23-3 de l’ordonnance de 1958 modifiée prévoit que: « Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.
« Toutefois, il n’est sursis à statuer ni lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l’instance ni lorsque l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.
« La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s’il est formé appel de sa décision, la juridiction d’appel sursoit à statuer. Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence.
« En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.
« Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu’il n’a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.”
Dans sa décision du 3 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a indiqué : « dans le cas où la juridiction statuera au fond sans attendre la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel, la juridiction saisie d’un appel ou d’un pourvoi en cassation devra, en principe, surseoir à statuer ; qu’ainsi, dans la mesure où elles préservent l’effet utile de la question prioritaire de constitutionnalité pour le justiciable qui l’a posée, ces dispositions, qui concourent au bon fonctionnement de la justice, ne méconnaissent pas le droit reconnu par l’article 61-1 de la Constitution » (cons. n° 17).
Pour la juridiction administrative, les procédures d’urgence sont les différents référés d’urgence (suspension, liberté, précontractuel, etc.), le contentieux des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (ou bientôt des OQTF sans délai de départ volontaire), des décisions de séjour assortis d’une OQTF ou encore le contentieux électoral.
On perçoit assez nettement que dans le contentieux d’urgence la juridiction se prononce au fond sans attendre la décision du CE et du CC et qu’en définitive le CC conclut à ce que la disposition législative en cause viole un droit ou un liberté constitutionnel on sera en présence d’un déni de droit et liberté constitutionnel.
On peut imaginer, le cas, par exemple, d’une question prioritaire de constitutionnalité contre les textes ne prévoyant pas que les réadmissions “Dublin II” de demandeurs d’asile vers un autre Etat membre de l’Union européenne ne soit pas suspensif, si la juridiction saisit rejette le recours au fond et qu’ensuite le Conseil constitutionnel reconnaît qu’il y a violation du droit à un recours effectif alors que le demandeur d’asile a déjà été réadmis.
Mais en l’espèce ce qui l’a emporté c’est le souci de permettre au juge de statuer en urgence sur la base des autres moyens que celui tiré de l’inconstitutionnalité invoquée. C’est curieux alors que, dans l’ordre interne, la Constitution prime sur les autres normes, y compris internationales et que le Constituant et législateur organique ont donné un caractère prioritaire à l’examen de la question de constitutionnalité.
Quelle solution propose le Conseil d’Etat? En cas de rejet de la requête introduite dans le cadre d’une procédure d’urgence, alors même que la transmission de la QPC aurait pu être jugée justifiée, “il appartiendra à la partie intéressée de se pourvoir en appel ou en cassation pour bénéficier de l’inconstitutionnalité qu’elle a invoquée, si celle-ci est finalement admise”.
Ainsi, en matière de référé, eu égard au caractère conservatoire de la décision et des délais impartis au juge des référés ils ne pourront pas surseoir à statuer pour la QPC.
Il n’est pas sûr qu’un tel argument suffise à convaincre la Cour de Strasbourg, au regard de l’article 6§ 1 de la CEDH ou de l’article 13, dans le cas où un demandeur d’asile sera renvoyé vers un pays ne protégeant par suffisamment des tortures et traitements inhumains et dégradants ou encore en cas d’atteinte irrémédiable à une liberté fondamentale découlant d’une disposition législative considérée ensuite par le Conseil constitutionnel comme contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution.
On aurait pu imaginer une QPC “urgente” comme il existe des questions préjudicielles devant la CJUE en urgence et que durant ce délai la situation est automatiquement gelée jusqu’à la décision du CC avec un système d’irrecevabilité manifeste comme en référé-liberté (L.522-3 du CJA).
Néanmoins, le Conseil d’Etat recommande dans le cas où la QPC apparaîtrait comme le seul moyen « propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux » au sens de l’article L. 521-1 du CJA (référé-suspension) ou comme le seul élément susceptible d’être constitutif d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 (référé-liberté), au juge des référés, “à supposer remplies les autres conditions posées par la loi, d’apprécier s’il peut ainsi faire droit à une demande conservatoire, en l’attente de la décision qui sera prise par le Conseil d’Etat puis, le cas échéant, par le Conseil constitutionnel”. Dans ce cas, la suspension pourrait être prononcée “non jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête en annulation de la décision mais jusqu’à ce qu’il soit statué sur la question prioritaire de constitutionnalité”.
Par ailleurs, le juge des référés peut toujours transmettre lui-même la QPC.
Dans le contentieux de la reconduite à la frontière, la difficulté vient du fait que le juge de la reconduite prend une décision sur le fond et non une mesure conservatoire mais qu’il doit se prononcer dans les 72 heures. Il peut, lui-aussi, décider de transmettre la QPC - sans pour autant que cela n’entraïne nécessairement l’annulation de la mesure de reconduite.
Comment, dans ce cadre, assurer un « effet utile » à la QPC ?
Là aussi, le Conseil d’Etat estime qu’il “sera, en tout état de cause, préservé par l’exercice d’une voie de recours” tout en reconnaissant qu’il est dans ce contentieux, dans la mesure où l’appel n’est pas suspensif, “assez théorique, au regard de la situation de l’étranger effectivement éloigné du territoire français.” - et donc l’effet utile de la QPC ne sera pas préservé.
Mais à la lecture du décret, cette situation n’a pas été résolue par le pouvoir réglementaire et le Conseil d’Etat fait le pari qu’il est “peu probable” que la question se pose car la plupart des dispositions législatives sur l’éloignement des étrangers ont fait l’objet d’une saisine, a priori, du Conseil constitutionnel.
On se fera un plaisir de déjouer ce pronostic, surtout qu’il est possible d’invoquer des changements de circonstances…
2.6. Introduction d’une demande d’aide juridictionnelle et QPC
Il existe plusieurs cas de figure:
- lorsque la QPC est soulevée par l’avocat du demandeur à l’aide juridictionnelle, d’ores et déjà constitué, celle-ci pourra être instruite dans des conditions normales et la juridiction pourra y statuer, sans qu’il y ait lieu d’attendre la décision prise sur la demande d’aide juridictionnelle.
- lorsque la QPC est soulevée par le requérant lui-même, sans avocat désigné, la QPC doit également pouvoir être transmise « sans délai ». En revanche, si elle apparaît, de prime abord, comme devant être rejetée, il conviendra, sauf circonstance particulière, d’attendre que l’intéressé ait effectivement pu bénéficier de l’assistance du conseil auquel il a droit pour, le cas échéant, refuser de la transmettre.
- enfin, hypothèse exceptionnelle, si c’est le demandeur à l’AJ qui aurait à se défendre vis-à-vis d’une QPC soulevée par son adversaire, la juridiction devrait pouvoir statuer sur cette question, sans attendre la décision du bureau d’aide juridictionnelle, s’il s’agit de refuser de la transmettre.
Voir sur l’AJ:
Décret n° 2010-149 du 16 février 2010 relatif à la continuité de l’aide juridictionnelle en cas d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel
(à suivre dès que possible)
NB: les interprétations donnés ici n’ont pas de caractère officiel et ne constituent que des opinions développées par leur auteur à la lecture de réflexions internes à la juridiction administrative portées à sa connaissance.
Si vous reprenez des éléments de ce billet ou vous vous en inspirez veuillez citer précisément l’auteur (S. Slama) et les références du billet (titre, nom du blog, date).