Lorsque, à la porte d’une boîte de nuit, un videur en interdit l’accès à une personne à l’apparence différente de celle des habitués, il y a discrimination. Lorsque, dans une agence immobilière ou, en réponse à une demande d’emploi, on annonce mensongèrement à un candidat à un logement ou à un poste, que celui-ci n’est plus disponible, il y a discrimination. Mais lorsque, comme dans le restaurant Quick visé par René Vandierendonck, maire de Roubaix, on informe un client potentiel que le hamburger qui est proposé dans cet établissement est confectionné avec de la viande issue d’un bovin abattu selon les préceptes de la religion musulmane et que le bacon a été remplacé par de la viande de dinde, où est la discrimination ? Et pis, y aurait-t-il quelque tromperie sur la marchandise ? Les seuls susceptibles d’être abusés sont ceux pour lesquels cette affirmation, vitale à leurs yeux, ne serait pas véridique.
On pourrait même remarquer que l’on est là plutôt en présence d’une démarche d’intégration. De jeunes musulmans peuvent souffrir de ne pouvoir fréquenter comme leurs homologues chrétiens ou autres des établissements proposant ces prestigieuses manifestations de la culture étasunienne. Certes, cette intégration demeure, et peut-être heureusement, fort superficielle. De même que la fréquentation de restaurants à l’enseigne de couscous et l’absorption de harissa n’a jamais fait de non-musulmans des croyants en Allah, de même que déguster des sushis n’a pas non plus fait apparaître de nouveaux adorateurs du Soleil levant, il est peu vraisemblable que des burgers halal transforment leurs consommateurs en fervents de la culture occidentale ou de la religion musulmane.
La laïcité consiste à laisser chacun libre de pratiquer la religion de son choix. En France, fille aînée de l’Eglise, pays où la religion catholique est majoritaire, la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’a pas empêché pendant des générations, certaines cantines des élèves publiques de ne proposer le vendredi que du poisson. J’ai tendance à considérer ceci comme tout à fait normal, remarquant toutefois que cette habitude est peut-être à l’origine d’une relative désaffection de certains de nos concitoyens pour le poisson. L’initiative du restaurant Quick de Roubaix Centre restreint beaucoup moins la liberté de choix des consommateurs que ne le faisait la pratique que j’évoquais à l’instant. Il n’empêche que, dans une société libérale, une entreprise a parfaitement le droit, pour tenter d’améliorer ses résultats, de viser une clientèle bien spécifique. Certes, les clients que rebute la viande halal n’ont pas à proximité quelque autre établissement de la même enseigne. Mais leur cas n’est pas plus tragique que ne le serait celui de malheureux cherchant désespérément un doner-kebab du côté de la Tour Eiffel.
Non, ce qui inspire le maire de Roubaix, ce n’est probablement pas la défense de la liberté de choix de ses concitoyens. En ces temps de campagne électorale, c’est plutôt la pêche aux voix. Et, paradoxalement, celles qui sont visées me semblent plutôt celles des partisans de la discrimination.