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Jean Dutourd : La chose écrite (Chroniques littéraires)

Publié le 23 février 2010 par Siheni
Jean Dutourd : La chose écrite (Chroniques littéraires)
On le dirait toujours de bonne humeur. Voyez son visage : Voltaire. Il aurait pourtant lieu, parfois, de s'assombrir. Jean Dutourd doit se sentir si seul ! Pensez, voilà plusieurs décennies que son premier livre, Le complexe de César, lui a valu la gloire que l'on sait : celle d'un affreux poujadiste doublé d'un imbécile. Maints autres ouvrages signés de son nom ont paru dans la suite : romans, essais, articles de presse, pièce de théâtre, recueil de poésie, etc. Le voilà même devenu, par la grâce d'une indulgence qui l'étonne peut-être encore, un des quarante immortels, siégeant dans un cercle des plus augustes qu'il tient pour un club charmant. Il semble bien, cependant, que ni le temps ni la confirmation d'un talent aussi protéiforme que fécond n'aient rien changé à l'affaire : à la seule mention de son nom auprès de certains de ses nombreux détracteurs, silence, quand ne fusent pas d'invariables sarcasmes, ou c'est d'un seul sourire compatissant qu'on le saluera, pour le mieux écarter de la conversation. Fut même une époque où l'on déposa une bombe sur son paillasson ; la bombe éclata, il dut déménager. Croyez-vous que Dutourd se soit fâché pour autant ? Eh bien, non. A l'instar de son ami Marcel Aymé, qu'il tient pour le plus grand romancier du XXème siècle, il règle ses comptes par écrit, sauf que lui le fait en toute innocence, ou presque, en bornant sa défense, s'il s'y sent fondé, à se moquer de travers qui, parce qu'ils sont humains, semblent le mettre en joie. Il compta certes parmi les membres du très fermé " Club des Ronchons " ; là, il voisina avec Alain Paucard et Pierre Gripari, notamment ; ses ronchonnements y ressemblaient cependant trop à des mots d'esprit pour que son élégance naturelle y fût jamais prise en défaut. Car l'élégance n'est pas la moindre des vertus de Jean Dutourd. D'ailleurs, lui-même n'est pas dupe, lorsque revenant sur les raisons de son exil forcé, il écrit que ce n'est pas tant le fond de son propos qui lui est reproché que la forme à laquelle il le plie. Autrement dit, le style. Et quel ! Continûment fluide, incisif, aussi juste que les voix les plus belles. Et d'autant plus rapide, fulgurant, que ce qu'il nous dit et raconte ne s'accompagne d'aucun flafla ; Dutourd n'a pas de temps à perdre à chercher l'effet ; sans doute est-ce pourquoi cela sonne si juste, si vrai en somme, ce qui pourrait entrer dans la définition de la beauté. Et il est si drôle ! Nous évoquions ses mots d'esprit : dans le genre on fait rarement mieux. Tel est le secret de sa bonne humeur : l'humour. A le lire, vous ne vous ennuierez jamais. Le fait est assez rare pour devoir être signalé. Incroyable, tout de même, comme le seul éclat de sa langue puisse valoir à un grand écrivain d'être aussi irrévocablement voué aux gémonies, quand il n'est pas ignoré. Incroyable ? Non, pas tant que ça, si l'on y réfléchit. Quoi qu'il en soit, on ne manquera pas de lire ce livre paru chez Flammarion. Tout Dutourd se trouve résumé dans ce panorama littéraire qui embrasse tous les siècles passés, de Platon à Simenon, en passant par Rutefeuf et le cher Bernanos. Chacun y puisera selon son coeur. Un pur délice.

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