On se retrouve encore une fois, ici, dans ces intrigues qui font ressembler la préparation d'un mariage à celle d'un coup d'état. Ça se passe dans le milieu des petits bourgeois, et c'est censé illustrer leur existence, leurs valeurs, leurs intérêts. Il y a des sous-chefs, des employés de bureau, des huissiers, des avocats pauvres, des avoués. Une fille, Modeste, dont le hasard, l'économie et les bons placements feront une riche héritière, et qui est très convoitée. Un véritable Tartuffe, qui, selon l'annonce de Balzac même, doit concurrencer celui de Molière.
On suit donc les menées habiles de ce Tartuffe, appelé Théodose, pour se faire attribuer la fille à marier, laquelle aime un professeur de mathématique désargenté. Théodose est diaboliquement habile. C'est divinement intéressant. Comment ça se finit? On l'ignore. Balzac a laissé le texte inachevé, alors que c'était un projet qui lui tenait à coeur, et qui aurait dû être un de ses plus ambitieux romans. Pourquoi?
Anne-Marie Meininger, dans la préface de l'édition Pléiade, tente une explication. Dans la séduction par Théodose de Flavie, la mère de Modeste, elle voit un souvenir de la séduction par Balzac de Madame de Berny, qui voulut un temps lui faire épouser sa fille. Tout ceci se passe au retour de Saint-Pétersbourg où Balzac est allé voir Madame Hanska, à qui il dédie le livre. Anne-Marie Meininger aperçoit dans tout ça un conflit de loyauté si fort que Balzac, atteint de terribles maux de têtes, et qui a écrit d'un trait les 180 premières pages (en Pléiade) du livre, n'arrive soudain plus à y ajouter une ligne, même pas à corriger les épreuves déjà composées, et abandonne finalement son projet. Peut-être...