La plupart d’entre nous oscillent entre deux soucis en apparence contradictoire : celui d’être identique aux autres et celui de s’en distinguer. Le premier nous vaut de voir désormais des légions de jeunes vêtus uniformément de blue-jeans et portant des chaussures de sport, le second a pour effet de voir ces mêmes jeunes s’accoutrer de tenues frappées des différents emblèmes de marques commerciales à la mode. Si l’on dénonce les dangers du communautarisme, c’est principalement lorsqu’il se manifeste par l’affirmation de l’appartenance à une religion ; mais on s’accommode fort bien de comportements voisins dans le domaine social.
C’est ainsi que, au siècle dernier, jamais une dame bien ne serait sortie de chez elle sans gants et « en cheveux », entendez sans chapeau. Tout comme, aujourd’hui, les personnes voyageant en chemin de fer en première classe ne le font pas tant pour bénéficier d’un confort supplémentaire que pour éviter de cotoyer des membres des classes populaires. Ce constat permet de s’interroger sur le crédit qu’il convient d’accorder au mot fraternité qui fait partie de la devise de notre République. Il est vrai que, si les membres d’une même fratrie peuvent évoluer dans des classes sociales différentes, leurs relations ne démontrent pas toujours la persistance de leur fraternité originelle.
La singularité d’un communautarisme religieux tient à ce que, selon les rites ou les traditions, il peut s’appuyer sur des pratiques alimentaires spécifiques. Sans prétendre qu’elles visent un tel but, force est de constater qu’elles ont pour effet de renforcer la cohésion d’une communauté. Les repas sont en effet un facteur important de socialisation. Survivance possible des temps où les Anciens se partageaient les animaux immolés pour honorer les dieux, les grands événements familiaux sont couronnés par des festins. Dans la vie de tous les jours, les repas entre voisins, collègues de travail ou militants politiques sont l’occasion de développer des liens encore fragiles, tout comme ils peuvent contribuer à l'éclosion d'amours naissantes. Le respect de prescriptions alimentaires limite fortement la capacité des pratiquants à s’engager dans des relations en dehors de leur communauté. Celle-ci préserve ainsi son homogénéité.
Ceci posé, peut-on prétendre que le restaurant Quick de Roubaix qui a décidé de servir exclusivement de la viande Halal serait coupable de ségrégation ? C’est la question que je me propose d’étudier bientôt.