Ce matin, dans un train. Deux jeunes femmes discutaient. Petite vingtaine.
L'une, blonde, cheveux longs, voix grave et timbre assuré de la nana qui a l'air féminine mais a des antécédents de garçon manqué. L'autre, brune, cheveux mi-longs attachés, voix discrète et intonations étouffées.
Leur conversation a commencé à attirer mon attention quand la blonde a lancé le plus naturellement du monde à sa compagne : "et tu regardes quoi en ce moment ?".
Ah. Tiens.
"Et tu regardes quoi en ce moment" est le cri de ralliement de tous les téléphages du monde. Seul un téléphage aurait l'idée de poser cette question. Laquelle, en dépit de sa formulation en apparence simple, cache deux sous-entendus révélateurs : d'abord que la personne à qui on s'adresse est coutumière du fait de regarder quelque chose (donc il s'agit bien de téléphagie volontaire), mais aussi d'autre part, que l'action de regarder se fait sur une période de temps étendue (si on parlait de films, on dirait "qu'as-tu regardé dernièrement", donc il ne s'agit pas de quelque chose qui se regarde en deux heures).
"Et tu regardes quoi en ce moment", c'est notre mot de passe secret, celui par lequel nous nous reconnaissons aussi sûrement que si notre petit doigt restait raide en toutes circonstances.
J'ai mal entendu la réponse de la brune. Grosso-modo, il était question de ne pas regarder grand'chose.
"Ah... t'es plus trop série ?" fait la blonde d'un air entendu. Ça se confirme.
La brune enchaîne avec une brumeuse explication, couverte par le bruit du train, mais s'achevant sur les mots "The Vampire Diaries".
Bon alors les enfants, je crois que c'est clair, j'en ai repéré deux. Deux spécimens de téléphages. Leur goûts ne sont (clairement) pas les miens mais enfin, pour faire la démarche de cagouler une série de la CW qui n'a connu que très peu d'écho dans les médias français, c'est quand même bien qu'il y a quelque chose qui dépasse le comportement du télambda.
Je vous l'avais bien dit, on se reconnait entre nous.
Mine moitié pensive, moitié offensive de la blonde qui contre-attaque : "moi je regarde Skins. Tu regardes Skins ?". A ce stade je ne suis même pas convaincue qu'il y ait une eu point d'interrogation. On entend une négation timide en face. "C'est bien, Skins. Et puis ça va vite, ça fait que 10 épisodes par saison. Moins, même, pour une saison."
Oho ! La blonde a l'air d'en avoir dans la télécommande. C'est visiblement elle le téléphage Alpha. Si elle calcule en nombre d'épisodes, c'est qu'elle est téléphagiquement entreprenante. Elle a certainement l'habitude de calculer le temps que va lui demander le visionnage d'une intégrale, et peut-être même est-elle rodée aux tours et détours de la contagion.
"Et je commence aussi True Blood". Deux séries en parallèle ? Ça se confirme.
"C'est sur des vampires aussi, c'est pas mal". Ni vu ni connu j'te contamine. Et moi je dis Madame.
L'air de rien, elle a quand même bien pris ses mesures : tu aimes les teenageries, je te suggère Skins. Non, plutôt le côté vampires ? Bouge pas j'en ai aussi en stock. Il ne sera pas dit qu'on va laisser la téléphagie s'éteindre en toi, petite brunette.
Quelques mètres plus loin, lady, admirative, se disait qu'elle avait trouvé son maître. Et a fini de rédiger le prochain post à destination de son blog téléphagique, avec un petit sourire en coin.
Ils sont parmi nous.
Et ils ont un plan.