nous avons fait nos nids avec du rêve
dans les halliers miroitants
j’ai sous les pas l’humus de notre terre
jonché de feuilles ridées
j’entends le frissonnement du vent
sur les rameaux rouge déjà
ils s’agitent en mille bras crucifiés
et les troncs vibrent des chaînes
qui les menacent chaque jour davantage
d’un écroulement brusque
le jour de la raison a conquis
tout ce temps nos espaces
métropoles fragiles voies monocordes
où l’on passe le temps à rouler
les flaques nous regardent vieillir
sans autre avenir que l’asphalte
filons vite de station en station
pour faire semblant de vivre
l’amitié n’a plus cours sur les boulevards
l’air boit des pétroles glauques
une poignée de main est rareté chaude
et ma vie bousculée se retire
j’aimais bien les cimes et les grottes
pures de toute touche humaine
le grouillement des ailes et des pépiements
ne se perçoit plus guère
ils continuent pourtant à nicher imperturbables
sur les croisements de branches
attentifs à bâtir brin par brin des abris
que la bise ne perce pas
peut-être n’allons-nous plus toucher terre
navires engoudronnés de vie
où l’on se croise nombreux c’est vrai
sur l’océan où la parole se perd
il est des cafouillages graves énormes
que l’on perçoit à peine
la langue vieille ficelée au palais
n’embrasse plus les mots
il reste sur les ponts parfois des évidences
horizons très ouverts des canaux bleus
ma main s’avance vers le ciel encanaillé
des blancs fuselages décevants
amis qui viendrez n’en veuillez pas à nos efforts
nous avons tenté de garder la parole
contre la vitesse exponentielle de nos calculs
les mots ne pouvaient rien
des milliards nous avaient précédés avec
leurs raisons leurs avions leurs prisons
bêtement nous n’avons fait que suivre
confort et amour en visée
nous étions pauvres en esprit en souffle
la raison a balayé la nuit
les calendriers se sont bousculés crus
dépouillés de notre mémoire
les éoliennes glissées en place des moulins
brassent leurs doigts dans le vide
c’est nos vies que nous voulions meilleures
nous n’aurons pas démérité
le vent emporte les lois tacites les amis
nous sommes les enfants du meurtre
l’assassinat européen nous fut en héritage
comment alors nouer des amitiés
c’est pourquoi je reviens souvent vers la sente
qui monte vers le site ancien
au milieu des noisetiers encore en gésine
j’entends l’appel du passé
j’en reprends les paroles oubliées déliées
et je renoue le fil du temps
ma peine est enviable avec ses pas lents
épuisement du corps à mi-pente
d’autres nids du rêve demeurent possibles
mais sur les mots pèsent les morts