C’est à un voyage au coeur des procédures d’asile auquel nous convie Gérard Sadik et son équipe de la Cimade dans ce rapport d’observation. Chaque étape de la procédure, ou plutôt des procédures de détermination mais aussi de rejet des demandes d’asile y sont auscultées (zone d’attente, préfectures, OFPRA, CNDA, TA, rétention administrative, etc) Le droit applicable à chaque étape est parfaitement restitué en étant systématiquement confronté aux pratiques et aux effets de celles-ci qui peuvent être mieux appréhendées grâce à de nombreux graphiques et tableaux statistiques; extraits de décisions, de chronologies précises des grandes étapes de l’évolution de l’asile.
On y apprend, pêle-mêle, que la Cour nationale du droit d’asile est la première juridiction administrative de France en terme de volume contentieux avec 25 000 recours/an; que la division de la protection de l’OFPRA est la 2ème mairie de France en nombre d’actes d’état civil délivrés, que le délai moyen de traitement d’un dossier à l’OFPRA est de 90 jours et à la CNDA de 258 jours ou encore que le nombre de dossiers par agent instructeur est de 371 dans l’année.O n y retrouve aussi le retournement opportun de doctrine sur l’excision de la CNDA ou le nombre de demandes en procédures prioritaires.
Je confesse avoir souvent utilisé comme document de référence le rapport d’observation précédent “Un accueil sous surveillance” pour mes séminaires de M2 droit de l’homme, des recours ou mes articles - par exemple le chiffre de 55% d’obtention de statut de réfugiés (et non 5% comme publié dans l’AJDA) pour les demandeurs d’asile suivi en Centre d’accueil pour demandeurs d’asile contre 34% pour ceux qui ne le sont pas.
En résumé, je recommande de télécharger ce rapport et surtout de le commander à la Cimade. Et si vous ne le faites pas, amis lecteurs de Combats pour les droits de l’homme, je me mets - aussi - à chanter des chansons sur les RATATA, l’ATA, la CNDA, l’OFPRA, etc.
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Voyage au Centre de l’Asile
Enquête sur la procédure de détermination d’asile
La France s’enorgueillit d’avoir formulé la première le sens moderne du droit d’asile. En effet, dans la Constitution de l’An I, figurait un article 120 qui disait : - Il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. - Il le refuse aux tyrans. Cette constitution fut vite oubliée, ne fut jamais appliquée et il fallut attendre 1946 pour que réapparaisse ce principe dans le préambule de la Constitution. Cet attachement fut de nouveau réaffirmé par la loi de 1952 qui créait l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Commission des recours des réfugiés.
Près de six décennies plus tard, l’OFPRA est placé sous la tutelle du ministre de l’Immigration et l’Identité nationale. Un ministre qui, dans un même discours, proclame que la France est la championne d’Europe en matière d’accueil des demandeurs d’asile et annonce le renvoi par charter d’ Afghans dont la demande d’asile a été examinée en quatre jours.
La France maintient-elle sa tradition de terre d’asile ou est-elle, à l’instar d’autres pays occidentaux, oublieuse des principes qui ont fondé son idéal républicain? La procédure de détermination en France est-elle « la plus belle procédure d’asile au monde », permettant de reconnaître une protection à tous les réfugiés fuyant l’oppression et les mille violations des droits humains qu’engendre le nouveau désordre mondial ou est-elle une loterie ou une « machine à fabriquer des déboutés »?
Après avoir examiné la façon dont les préfets traitaient les demandeurs d’asile puis la réforme du dispositif national d’accueil qui leur est dédié, la Cimade s’est intéressée à cette procédure. Au travers d’entretiens avec les différents acteurs de cette procédure (officiers de protection de l’Office de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), rapporteurs et juges de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), avocats, associations et last but not least, demandeurs d’asile et en assistant à la fois à des entretiens de l’OFPRA et aux audiences de la Cour nationale du droit d’asile, ce rapport décrit comment sont prises concrètement les décisions sur l’asile. En suivant le parcours du demandeur, nous verrons comment est rempli le formulaire OFPRA, puis comment est mené l’examen par les officiers de protection de l’OFPRA et enfin comment la CNDA instruit puis statue sur les recours formulés par les demandeurs.
Dans cet état des lieux, une attention particulière sera prise sur les évolutions récentes de la procédure. En effet, les directives adoptées par l’Union européenne entre 2003 et 2005 en matière d’asile ont été progressivement transposées dans la réglementation ou dans les pratiques des organes de détermination. Qu’il s’agisse des conditions d’entretien à l’OFPRA ou de la généralisation de l’aide juridictionnelle devant la CNDA, elles modifient sensiblement la façon dont sont examinées les demandes d’asile.
Le rapport est en ligne en PDF
En exclusivité pour Combats pour les droits de l’homme et à destination des services du ministère de l’Immigration un extrait du rapport :
Extrait : Une instruction accélérée : les procédures prioritaires en rétention:
Lorsque le demandeur est admis au séjour, l’OFPRA dispose du délai qu’il souhaite pour instruire la demande. Si l’instruction nécessite plus de six mois, il doit néanmoins prévenir le demandeur par un courrier.
En revanche, ce n’est pas le cas pour les procédures prioritaires. Depuis 2004, celles-ci doivent être instruites dans le délai de 15 jours si le demandeur est en liberté et de 96 heures s’il se trouve placé dans un lieu de rétention administrative (centres ou locaux de rétention administrative) en vue de son éloignement.
Dans ce cas tout est accéléré : l’officier de protection doit décider sans délai de convoquer le demandeur à un entretien qui se déroule une semaine plus tard si le demandeur est en liberté ou dans les 48 heures s’il est en rétention. A l’issue de l’entretien, l’instruction doit être bouclée en quelques jours ou heures pour prendre une décision sur la demande. Cette décision est fondamentale car en cas de rejet, le préfet peut immédiatement reconduire le demandeur vers son pays d’origine sans que le recours à la CNDA soit suspensif.
Dans l’esprit du législateur, les demandes qui font l’objet de cette procédure sont marginales, dépourvues de fondement et peuvent faire l’objet d’une instruction plus célère et sans la garantie d’un recours suspensif. Pourtant avec l’introduction du concept depays d’origine sûrs et la politique d’objectifs chiffrés de reconduite à la frontière, de plus en plus de demandes d’asile sont traitées de cette façon
Or, les demandes qui sont instruites selon cette procédure ne sont pas sans lien avec l’asile. Ainsi, la Géorgie a été considérée comme un pays sûr de 2005 à 2009. Lorsque le conflit russo-géorgien s’est déclenché en août 2008, des centaines de demandeurs fuyant ce conflit ont demandé asile et l’OFPRA a dû examiner ces dossiers « lourds » dans un délai très bref, sans avoir une information précise de la situation dans le pays.
Autre situation exemplaire : la situation des demandeurs d’asile afghans « évacués » de la « Jungle » de Calais en septembre 2009. 140 des 279 personnes interpellées à Calais ont été placées en centre de rétention administrative. Si elles voulaient demander asile, elles devaient le faire dans le cadre du centre de rétention administrative. L’OFPRA a donc dû mobiliser des officiers de protection pour les entendre et prendre la décision quasi séance tenante. Une vingtaine de personnes se sont vues reconnaître la qualité de réfugié ou octroyer la protection subsidiaire mais selon des critères difficiles à comprendre car d’autres ont été déboutées alors qu’elles semblaient présenter des éléments à l’appui de leur demande.
L’OFPRA ne dispose pas de la possibilité juridique de faire passer une demande prioritaire en procédure normale. Quand un dossier nécessite une instruction longue, il se borne à ne pas répondre dans les délais impartis. Mais pendant ce temps, le demandeur demeure dans une extrême précarité juridique et sociale ou en centre de rétention dans la limite maximale de 32 jours.
Au delà des questions d’instruction à l’OFPRA, cette procédure souffre de l’absence d’un recours suspensif en cas de rejet en contrariété avec un principe énoncé à la fois par la Convention Européenne des droits de l’Homme et par la directive européenne sur les procédures. Le recours est toujours possible mais si la personne a été renvoyée dans son pays, la jurisprudence de la CNDA considère qu’elle ne peut statuer en l’état car l’intéressé se trouve dans son pays d’origine et ne peut plus être juridiquement un réfugié.
Pourtant, pour le ministre de l’Immigration, cette procédure accélérée et tronquée lui paraît satisfaisante. Lors de la présentation du budget du ministère, pour réduire le délai moyen de procédure, il a préconisé de l’utiliser plus fréquemment. La décision d’inscrire sur la liste des pays d’origine sûrs l’Arménie, la Serbie et la Turquie (trois pays qui représentent à eux seuls 15% de la demande) et le sort réservé aux « évacués de la jungle »sont les signes de cette politique.