Alors comme ça, Ségolène Royal s’acheminerait “vers une réélection tranquille” et Georges Frêche l’emporterait “quels que soient ses adversaires” ? Et je vous passe Jean-Paul Huchon loin, loin devant Valérie Pécresse ..
… Eh bien écoutez, c’est fantastique ! Du moins pour les électeurs de Poitou-Charentes, du Languedoc-Roussillon et d’Ile-de-France ! Enfin, quand je dis “fantastique”, c’est bien évidemment de l’ironie, insupportable, du cynisme même, ah oui, j’en conviens et sans barguigner, mais quelle position voudriez-vous que j’adopte, n’est-ce pas ? Celle bonasse ou pugnace qui consiste à se dire que ma foi, non, tout n’est pas perdu, oui, ça vaut (encore) la peine de se déplacer, de faire entendre sa voix ?
Ah, il en faut de l’obstination, de la volonté, du civisme, et que sais-je encore, des convictions, pour faire fi de ces sondages, si nombreux, omniprésents ; il en faut, oui, pour se convaincre que non, c’est pas joué, que rien n’est écrit, allez, envers et contre eux, accomplissons notre devoir de citoyen : votons ! .. Tu parles ! .. Y’a de quoi lâcher l’affaire, et copieux ! .. C’est vrai, à quoi bon prendre une heure de son temps, glisser un bulletin, si l’élection est déjà pliée ? .. Non mais, mettez-vous dans la peau d’un citoyen tenté par un vote MoDem, NPA, FN, Front de Gauche, etc., enfin de tous ces partis laminés par et dans les instituts de sondages, semaine après semaine - ah le beau matraquage, ça oui, c’est de la belle ouvrage ! - mais quel intérêt aurait-il à se déplacer le 14 mars prochain ? Pour quoi faire ? Peser sur qui, sur quoi ?
On me rétorquera que, tout doux l’ami, enfin, il y a, ou subsiste, des citoyens convaincus, acharnés, militants même, de ceusses que jamais les sondages ne découragent, qui votent vaille que vaille, qui votent parce que, ils estiment que c’est là un devoir et point-barre. Sans doute … Mais, si j’avance qu’ils sont, ceux-là, de moins en moins nombreux, qu’ils se font de plus en plus rares, et non point en me référant à des projections sondagières, mais en lorgnant sur les résultats effectifs des scrutins précédents où le taux d’abstention est parfois supérieur à celui de participation, que me répondra-t-on ? Que c’est la faute des politiques ? Je veux dire, à leur impuissance chronique ; les politiques et leurs discours stéréotypés, prévisibles - ah, qu’il est loin le temps des tribuns, des habités ! - les politiques en qui, paraît-il, les français ne croient plus, ou plus guère. Certes … Ils ont leur part. L’offre, c’est vrai, est bien maigre. Et plus elle est maigre, d’ailleurs, plus - me semble-t-il - les listes sont nombreuses.
Mais quid des sondages ?
Je rêve d’une campagne sans eux, les instituts de sondages, une campagne sans projections numériques, sans camemberts, quand bien même saurais-je que les appareils, les politiques, en commanderaient, des enquêtes, et à la pelle, ne serait-ce que pour adapter leurs mots et virgules, ratiboiser telle promesse ou en ériger telle autre, vu qu’ils sont, les politiques, les premiers consommateurs de ces instituts de sondages qu’ils vouent, pourtant, en public, aux gémonies. Combien de fois, hein, ne les a-t-on pas entendus dire : “Il ne faut pas écouter les sondages !” ou “Ce ne sont pas les sondages qui dictent mon action !” quand ce n’est pas : “Les sondages se trompent !”. Ah, l’hypocrisie n’a pas de bornes et mon cynisme est bien maigre comparé au leur. Le premier d’entre eux excelle d’ailleurs dans ce domaine – oui, je parle de Nicolas Sarkozy - lui qui ne jure que par les sondages, et par millions et millions d’euros, ce même Nicolas Sarkozy qui, autrefois, les honnissait, un dimanche d’avril 1995, par exemple, soir du premier tour d’une élection présidentielle, soir funeste pour son champion, l’Edouard Balladur, en déclarant que :
“(…) Depuis un mois, et notamment l’institut qui travaille avec France Télévisions, BVA, essaie de raconter aux français que l’élection est jouée, qu’il y aura des écarts formidables ! On a tympanisé les français avec cela. Je poserai le problème, et j’estime que nous serons un grand nombre à poser le problème de la présence des sondages si près d’une élection !”.
Eh bien posons-le ! Il est grand temps ! Il en va du vote citoyen et de la démocratie.
Oui, revenons sur la loi du 19 juillet 1977, modifions son article 11 de la section IV, et décrétons que les sondages n’auront plus pignon sur urnes, et ce, un mois avant chaque scrutin ! Un mois ferme. Un mois de tranquillité pour nous autres. De liberté (de choix), même illusoire, peu importe ! Un mois d’espoir, même les plus fous !
Boutons les sondages hors des campagnes électorales, rendez-nous l’incertitude, le doute, la réflexion ! Oui, il est temps de nous détympaniser ! C’est urgent ! Tant, aujourd’hui, de plus en plus, ce sont bien eux, les instituts de sondages qui font (et défont) les élections. Ah que si !
Oh, notez que je ne conteste pas leur professionnalisme. Non, je ne fais pas partie de ceux qui prétendent que les sondages se trompent. Ah non ! Même, qu’ils se trompent rarement plus approche le scrutin. Je veux dire dans la globalité. C’est une réussite. Totale. Et c’est bien la raison pour laquelle, tiens donc, je préconise de les interdire ! Car je prétends qu’ils jouent un rôle néfaste en dévoilant les résultats plus que probables d’une élection, ils nous dépossèdent, nous déloquent, nous décitoyennisent ! Ils nous volent aussi, quelque chose, quelque chose de sacré. Oui, de sacré.
Ils sont, aussi, en partie, responsables du taux (grandissant et fluctuant) d’abstention. Mais croyez-vous - ce serait cocasse, cela dit – qu’il viendrait à l’idée d’un institut de sondages de mener une enquête d’opinion afin de savoir dans quelle(s) mesure(s) la publication (parfois quotidienne) d’estimations de votes influe sur le comportement (et non le choix) du citoyen. Dans quelles proportions, il renâcle à se rendre aux urnes considérant soit que son parti, ou celui qui le représente, a de fortes chances de l’emporter ; soit qu’il ne sert à rien de se déplacer, vu que les résultats de l’élection, chère madame, sont connus, y’a plus rien à espérer, à quoi bon donner de la voix, n’est-ce pas, puisqu’on me dit, m’annonce qu’elle est déjà perdue, noyée ? … Quoi ? … Le vote utile ? … Vous plaisantez ? … On ne parlerait pas de vote utile s’il n’y avait pas de sondages. Juste de vote. Peut-être même qu’on y gagnerait, par exemple, dans les débats ! Dégagés qu’ils seraient de toutes projections sondagières, alors, peut-être, y parlerait-on à nouveau de … politique, au sens citoyen du terme ? Et non de ce que machin fera au second tour, quelle consigne de vote il donnera, ce dont on se fout ! Mais c’est bien là, l’autre travers, cette obsession du second tour, et il est dû également aux projections sondagières, tant ne les intéressent que le résultat final. C’est dire si notre vote, celui du premier tour compte pour nib. Comment voulez-vous le traduire autrement ?
L’on me dira, interdire les sondages en périodes électorales, un mois, deux mois pourquoi pas, avant la date du scrutin, la belle l’affaire ! Et alors ? Cela changerait-il la donne ? Ou, comme dirait l’autre, assisterait-on à un rebattage de la carte (et de l’offre) politique ? Allez savoir ..
Il ne s’agit pas d’introduire je ne sais quel suspens, mais de dépolluer le citoyen. De lui rendre et ses illusions, et ses espoirs, et sa liberté. De choix et de conscience politique. Car, je le pense, vraiment, les sondages contribuent à tuer, petit à petit, notre conscience politique. Ou ce qu’il en reste.
Les prévisions, multiples, de plus en plus nombreuses, n’encouragent pas le vote. Elles le désespèrent. Elections après élections.
En donnant les (plus que) probables résultats d’un scrutin via les médias (qui, c’est clair, s’en repaissent tout … en le déplorant - autre hypocrisie ..), chaque semaine, pour ne pas dire chaque jour - ah comme c’est martelé, n’est-ce pas ! Comment pourrait-on y échapper ? - les instituts de sondages vident le vote de sa substance. Le désacralisent.
En cela, les instituts de sondages sont, et de plus en plus, les fossoyeurs du vote citoyen et de la démocratie.
Un monstre, en vérité.