Dans un article précédent, j’évoquais la vente aux enchères des cuivres gravés ayant servi à l'impression du "Férêt" (Bordeaux et ses Vins) entre 1850 et 1908. Si quelques grands noms sont partis à des prix importants (Margaux à 5.468 €, Latour à 4.463 €, Haut Brion à 3.570 €, La Mission Haut Brion à 3.315 €, Ausone à 3.188 €, Mouton Rothschild, Pétrus et Fonroque à 3.166 €) beaucoup de châteaux plus modestes ont trouvé preneur en-deçà de leur estimation, voire sont restés sur la touche. Une très modeste plaque estimée à moins de 250 € a cependant créé la surprise : la Villa Algérienne, adjugée à 3.741 €. Quel est donc ce mystérieux « vignoble éphémère du Cap Ferret, hors délimitation en 1936 », seule indication du catalogue de la vente ?
Léon Lesca, entrepreneur de travaux publics, construisit notamment, sous Napoléon III, le port d’Alger et la voie ferrée reliant Constantine à Skikda. De retour dans son pays natal, il acheta pour une somme modique aux enchères publiques un immense domaine s'étendant de Claouey au Cap Ferret. Ce dernier était alors un désert habité seulement par les gardiens du phare et du sémaphore, quelques douaniers et garde forestiers. Il n’y avait ni route ni chemin, et le village le plus proche se trouvait à 15 km. On dit de Léon Lesca qu’il fut « l’inventeur du Cap Ferret ». Il exploita la forêt et les parcs à huîtres, créa les réservoirs à poissons de Piraillan, construisit une école, la jetée de Bélissaire, des logements, une chapelle et un presbytère, importa et acclimata le mimosa et le yucca, et ... planta un vignoble.
Deux cartes postales de la Villa Algérienne et de son parc.
En 1865-66 il fit construire sur les terrains qu’il venait d’acquérir, au lieu-dit « Gnagnotte », une villa de
style mauresque, en souvenir des années passées en Algérie. C’est son ami l’architecte Eugène Ormières, qui en a dessiné les plans. Autour de la villa, il fit aménager un parc de 25 hectares,
planté d’espèces rares, et un vaste potager. Léon Lesca y vécut jusqu'à sa mort en 1913, à l’âge de 88 ans. Malheureusement la Villa fut laissée à l'abandon par ses descendants. Plusieurs fois
vendue, elle finit par être détruite par un promoteur immobilier en 1965, qui la remplaça par un austère blockhaus. Seule la Chapelle de l'Herbe subsiste de l’époque de Léon Lesca. Et de son
vignoble, il ne reste que le nom du Port de la Vigne. La villa apparait encore dans les songes de ceux qui l’ont connue du temps de leur enfance. Tel un mirage évanoui dans les sables, elle a
réapparu l’espace d’un instant, avant d’être à nouveau dispersé sous un coup de marteau donné par le commissaire-priseur.
Merci au blog du Cap Ferret pour toutes ces informations.