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Le loup-garou ou lycanthrope est une créature qui fascine les hommes depuis plus de deux millénaires. Dans l’antiquité gréco-latine des récits faisaient déjà état d’êtres mi-hommes mi-loups terrorisant les voyageurs égarés. Depuis lors, toutes les sociétés, de tradition orale ou écrite, ont rapporté des légendes similaires.
La littérature, la peinture, les chants ont prolongé les peurs associées au mythique loup-garou.
Il était normal qu’à notre époque le cinéma puise dans cette culture populaire un sujet aussi passionnant.
L’image cinématographique classique du loup-garou est fixée dans nos esprits depuis "The Wolf Man" mis en scène en 1941 par George Waggner avec dans le rôle titre le cultissime Lon Chaney Jr.
Mais la figure du loup-garou dans le 7ème art a bien évoluée au cours du demi-siècle écoulé. Le tournant décisif, basé sur une révolution technologique, a été pris, à mon sens, en 1981 avec la sortie de "Le loup-garou de Londres" et de "Hurlements".
Des productions plus récentes comme "Wolf", la saga "Underworld", "Dog Soldiers" nous prouvent que le lycanthrope figure toujours au centre des préoccupations de bon nombre d’artistes.
Le cinéma prend parfois des chemins tortueux et le goût des fans ne se commande pas. Après bien des expériences, et parfois certaines exagérations, la thématique de la lycanthropie devait absolument opérer un retour aux sources, à des valeurs traditionnelles. Histoire de fixer de nouveau la créature dans l’imaginaire du commun des mortels.
Il va sans dire que l’angle d’attaque choisi par Coppola avec son "Dracula" a fait date.
"Wolfman" de Joe Johnston est un film qui est véritablement né dans la douleur. Sa sortie a été repoussée de nombreuses fois. On a parlé de désaccords artistiques, de re-tournages etc… Finalement le long métrage est arrivé jusqu’à nous et je dois dire que j’en suis pleinement satisfait. J’ai pris un pied énorme ce matin.
"Wolfman" de 2010 est inspiré par son illustre modèle de 1941.
Lawrence Talbot (Benicio Del Toro) a quitté le domaine familial il y a bien des années après le décès de sa mère. Il revient sur ses terres à l’instigation de Gwen Conliffe (Emily Blunt) la fiancé de son frère récemment disparu sans laisser de traces. Il retrouve son père (Anthony Hopkins) et commence à mener ses investigations.
Son enquête l’amène à suivre la trace d’une créature démoniaque qui sème la mort autour d’elle les soirs de pleine lune.
Le long métrage de Joe Johnston est plus que satisfaisant car il réussit le tour de force d’opérer un compromis artistique. En réintroduisant un cadre champêtre de l’Angleterre de la fin du 19ème siècle et des personnages victoriens (le châtelain, l’inspecteur de Scotland Yard), nous plongeons au cœur d’un univers classique et traditionnel.
Inversement (et complémentairement) l’utilisation de techniques modernes donne à l’œuvre un cachet résolument contemporain.
Le rythme du film a une importance capitale. Après avoir entre aperçu la créature d’entrée de jeu pendant quelques instants, l’horreur pure fait place a une intrigue qui monte en puissance de manière crescendo. Le réalisateur a le temps de nous présenter les personnages, les nœuds d'une histoire extraordinaire. Le canevas est fixé une bonne fois pour toute.
L’éclatement de violence n’en est que plus réussi. La rage phénoménale qui se déchaîne à des moments bien précis prend racine et rebondit même sur des séquences de comédie où les acteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Joe Johnston alterne les séquences d’action avec des scènes où les face à face sont légion. L’étrange relation qui unît Lawrence à son père ou la romance qui se développe entre Lawrence et Gwen sont parmi les fils conducteurs les plus remarquables du film.
Car il ne faudrait pas croire que "Wolfman" est uniquement un film d’horreur. L’œuvre voit se développer une histoire d’amour passionnée et passionnante. "Wolfman" a plusieurs niveaux le lecture et d’analyse. La violence n’est qu’un de ces angles d’attaque. Il ne faudrait donc pas sous estimer la puissance dramatique de ce long métrage et les émotions qui s’en dégagent.
Lawrence Talbot prend une importance considérable au fil des minutes. La lycanthropie qui le touche rend le personnage attachant à biens des égards. La malédiction le rend on ne peut plus humain. Malgré la bestialité de son comportement qui explose quand l’humain cesse d’exister, le spectateur est touché par cette infamante destinée.
"Wolfman" bénéficie également d’un travail d’ambiance énorme. Les lieux choisis (une demeure à la campagne baignée la plupart du temps par une obscurité envahissante, une forêt impressionnante à souhait), le cadre nocturne donnent à l’œuvre une ambiance pesante. A mesure que le film avance on ressent comme une impression d’étouffement.
Le terrain est bien préparé. Quand la bête surgit la terreur est à son comble.
"Wolfman" comporte son lot de scènes sacrément impressionnantes. Les caméras tressautent, le rythme s’emballe. Joe Johnston illustre son propos avec des angles de caméras et des plans originaux. Son découpage est plus serré. La bête bondit, tranche des membres, blesse et tue dans une explosion de fureur et de sang.
L’attaque du camp des gitans et la séquence de l’Académie de Médecine sont remarquables. On touche du doigt la perfection. Quand l’intrigue quitte la campagne profonde et se transporte dans la grande ville de Londres, l’œuvre prend une dimension supplémentaire.
Mais "Wolfman" ne serait pas un long métrage réussi sans une technologie remarquable. Les phases de mutation sont uniques. Au lieu de nous asséner une séquence entière d’un seul tenant pendant une à deux minutes, Joe Johnston prend le pari de morceler ces moments là. Il en résulte des instants magiques où les différentes parties du corps de Lawrence Talbot, jamais les mêmes, muent.
Sur le plan technique le long métrage s'appuie sur les superbes maquillages de Monsieur Rick Baker. La transformation de Benicio Del Toro en loup et les prothèses ne sont pas sans rappeler les procédés utilisés il y a pratiquement 30 ans avec David Naughton dans "Le loup garou de Londres". La filiation m’a paru évidente.
Chaque masque fourmille de détails, et bonheur suprême, permet à Benicio Del Toro de jouer à sa guise.
"Wolfman" a une bande son très travaillée. Les ambiances musicales nimbent chaque séquence d’une signature originale et recherchée. Il faut aussi remarquer que le cri du loup-garou a fait l’objet en amont d’un labeur de longue haleine. La production a fait appel aux services d’un chanteur d’opéra baryton basse.
Les jeux de lumières sont d'une densité absolument remarquable. La photographie est lêchée.
Mon éternelle maxime est nul long métrage captivant sans interprètes au sommet de leur art.
Benicio Del Toro est remarquable. Son jeu est plein de force. Sa prestation nous touche. Son regard sombre est une abîme sans fond.
Anthony Hopkins fait encore une fois une nouvelle fois étalage de sa classe légendaire. L’allure de son personnage nous rappelle le Van Helsing interprété chez Coppola.
Je dois dire que j’ai un faible pour Emily Blunt que je trouve divinement belle. L’actrice anglaise illumine la pellicule de sa présence. Son charisme est incroyable.
Autre ancrage dans la tradition avec le personnage de l’inspecteur Abberline interprété par l’excellent Hugo Weaving.
Abberline est lié depuis plus d’un siècle aux meurtres de Jack l’Eventreur. Au cinéma Michael Caine en 1988 ("Jack The Ripper") et Johnny Depp en 2001 ("From Hell") ont livré des prestations plus que convaincantes.
Mon seul regret concernant "Wolfman" : sa longueur. Le déroulement du long métrage laisse parfois l’impression de trous narratifs. Des séquences s’ébauchent et hop on passe aux suivantes. Encore une fois la rentabilité a du damer le pion à la créativité artistique du metteur en scène.
Cependant le long métrage est l’une des très bonnes surprises de cette année 2010. Qu plaisir pur, unique, celui du cinéphile passionnée.
A voir sans modération.