La prise de la Bastille

Par Celinexcoffon

La forteresse de la Bastille en 1740

Dans la correspondance du marquis de Sade, on apprend que « Le 2 juillet [1789], à l’occasion d’un peu de train que je fis à la Bastille pour des mécontentements que l’on m’y donnait, le gouverneur se plaignit au ministre. J’échauffais, disait-on, par ma fenêtre l’esprit du peuple, je l’assemblais sous cette fenêtre, je l’avertissais des préparatifs qui se faisaient à la Bastille, je l’exhortais à venir jeter bas ce monument d’horreur. Tout cela était vrai. »
De fait M. de Launay, gouverneur de la Bastille, fit transférer le trublion à Charenton dès le 4 juillet. Mais les frasques du divin marquis ne furent pas pour grand-chose dans les évènements qui survinrent dix jours plus tard.

Le glorieux soulèvement populaire que nous célébrons à grand renfort de flonflons, lorsqu’on le considère dans sa triste réalité, ne mérite pourtant pas les rubans dont on l’orne aujourd’hui.
Le soulèvement commence en réalité le 12 juillet, au moment où Camille Desmoulins, monté sur une table du Café de Foy au Palais-Royal, appelle le peuple à prendre les armes contre le gouvernement du roi. Depuis plusieurs jours, les émeutes se multiplient dans Paris, le peuple réclame du pain, et la baisse du prix du grain. De plus, le bruit court que les royalistes rassemblent des troupes étrangères, qui marchent sur Paris pour mater les émeutiers. Le 13 juillet, une milice de 48 000 hommes est créée pour protéger les parisiens, qui marche sur les invalides en réclamant les armes nécessaires. Le gouverneur des Invalides refuse la demande de la délégation, la foule gronde et menace, les soldats refusent d’ouvrir le feu sur les parisiens. Le 14 juillet au matin, la foule que rien ne peut plus arrêter envahit les caves des Invalides et s’empare des 30 000 à 40 000 fusils à poudre qui y sont entreposés. Les parisiens sont armés, il ne leur manque que la poudre. Le bruit court qu’il y en a la Bastille.
Environ six cent émeutiers, dont des femmes et des enfants, affluent de la rue Saint-Antoine, forcent les barrières du château et pénètrent dans la cour avancée. Après avoir abattu le pont-levis, la foule se précipite dans la cour du gouverneur. Comprenant la gravité de la situation, M. de Launay ordonne aux soldats de faire feu.
A 17 heures la garnison de la Bastille rend les armes, sur la promesse des assiégeants qu’aucune exécution n’aura lieu en cas de reddition.

La prise de la Bastille - Jean-Pierre Houël (1735-1813)
A en croire la version des révolutionnaires, version d’abord retenue par la grande histoire, cette forteresse inviolable, temple de l’injustice, accueillait près de 500 prisonniers par an et pointait ses canons sur le peuple de Paris.
La Bastille fut assaillie au nom de la Liberté, et prise par le peuple à la suite d’un combat héroïque au cours duquel des innocents furent massacrés par les soldats de la garnison. Les courageux insurgés commencèrent par libérer les prisonniers, et découvrirent avec horreur des instruments de torture et des squelettes humains témoignant du traitement inhumain infligé aux prisonniers.
Les documents historiques et les témoignages ternissent cependant le bel épisode.
En fait de forteresse inviolable, la bastille fut prise à chaque fois qu’elle fut attaquée, notamment pendant la Fronde où elle avait capitulé après cinq coups de canon. Canons qui, loin de menacer les parisiens, depuis la Fronde se contentaient de tirer des salves les jours de fête. Les registres d’écrous indiquent qu’environ 25 prisonniers par an y étaient enfermés, la plupart pour une courte durée. Outre le fameux Masque de Fer et le marquis de Sade évoqués plus haut, quelques illustres personnages en firent les frais. Voltaire y fut hébergé pendant un an en 1717, accusé d’être l’auteur d’un pamphlet contre les filles du Régent. Libéré par le Régent, il reçut de la part de ce dernier une pension de mille écus qu’il ne refusa point, se permettant ce mot : « Je remercie Votre Altesse Royale de ce qu’elle veut bien se charger de ma nourriture, mais je la prie de ne plus se charger de mon logement »

La Prise de la bastille - Camille Pelletan
Si la Bastille devait tomber au nom de la Liberté, l’objectif des assaillants était d’abord de trouver des armes et des munitions. Leur première réaction fut de courir au pillage, et les clefs de la prison furent portées en triomphe dans Paris sans avoir ouvert les portes des cellules, qu’il fallut ensuite défoncer pour libérer les… sept prisonniers ! Parmi eux quatre escrocs et faussaires, remis en prison le lendemain, deux fous transférés – pour leur malheur – à Charenton, et le Comte de Solages, une érotomane déséquilibré installé là par sa famille pour lui éviter l’asile. Elles étaient belles, les victimes du despotisme monarchique ! Les fameux instruments de torture retrouvés se résumaient à une vieille armure et une machine d’imprimerie, les soi-disant squelettes de prisonniers torturés étaient sans doute les restes de prisonniers protestants qui ne pouvaient être enterrés dans des cimetières catholiques.
Quant aux victimes de l’assaut, au nombre de 98 parmi les insurgés, elles s’étaient principalement tiré les unes sur les autres au moment du pillage, ou s’étaient tuées en tombant dans les fossés du donjon. Les survivants ont d’ailleurs démontré leur grandeur d’âme en lynchant M. de Launay, qui fut décapité au canif par un garçon cuisinier.

M. de Launay capturé par les assaillants - Charles Thévenin - fin 18e
Louis XVI, qui se trouvait ce jour-là à la chasse, nota sur son journal :
« Aujourd’hui, rien ».
On pourrait légitimement s’offusquer de la légèreté d’un monarque aussi peu concerné par de tels évènements. Même si l’ordinaire de ce journal consistait en rapport de chasses, réceptions et cérémonies, et non en considérations politiques.
En vérité le roi n’a été informé que le lendemain à son réveil, par le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, avec l’échange légendaire qui s’en suivit :
-« C’est une révolte ? » demanda Louis XVI.
-« Non Sire, c’est une révolution. »

La Bastille dans les premiers jours de sa démolition - Hubert Robert
La chute de la Bastille fit en tout cas un heureux, le « Patriote Palloy », qui s’institua aussitôt « démolisseur de la Bastille ». Si certaines pierres furent réemployées à divers endroits de la capitale, le sieur Palloy eut l’idée lumineuse de revendre des morceaux de la forteresse sous forme de reliques. Les petites pierres étaient enchâssées pour en faire des bijoux, les chaînes des prisonniers et du pont-levis fondues pour fabriquer des médailles portant la fière devise : La liberté ou la mort. D’autres pierres furent utilisées pour sculpter de petites Bastilles vendues très cher aux amateurs, et lorsqu’en 1790 la France fut divisée en 83 départements, Palloy réussit à en écouler une par département, sans compter les districts et les grandes communes. Cependant l’examen des comptes – douteux – de son entreprise finit par envoyer l’astucieux patriote, redevenu royaliste sous la Restauration, à son tour dans les fers.

Médaille sur laquelle Palloy se représente en patriote