Le petit chat est mort - Trek Jour 3 – Youga Dogourou – Youga Piri
Publié le 21 février 2010 par Magalicadet
Nous avançons dans le défilé de Youga Dogourou, la faille se resserre, nous enveloppe, abrite dans ses replis les constructions des Tellem, les premiers habitants de la région supplantés par les Dogons. Les ruines troglodytiques de ce peuple, dont la disparition reste encore un mystère, servent de cimetières aux Dogons, les corps de leurs défunts y sont hissés, pour y reposer éternellement, tout proches du ciel. Une brise clémente chargée de passé et de fantômes accompagne notre progression dans l’entonnoir de grès, de plus en plus étroit. Je peux toucher à présent simultanément ses parois gauche et droite. Les constructions Tellem subissent vaillamment les pressions de la pierre, venant du dessous, du dessus et leurs formes cylindriques semblent sur le point d’éclater. De certains greniers, résolus à se plier au bon vouloir de la roche, il ne reste plus qu’un enchevêtrement de briques rouges désordonné.
Pour sortir des entrailles de la falaise, il nous faut nous hisser, parfois aidés d' échelles Dogon, ces troncs, dont l’extrémité fourchue repose sur la pierre et dont les marches étroites ont été taillées à la hache. Nous rejoignons le plateau, qui domine une mer de sable d’où émergent sporadiquement quelques tâches brunes ou vertes. Jusqu’à la ligne d’horizon tout est irrémédiablement plat et monotone, quelques nuages de haute altitude venant ça et là foncer les ocres qui s’étirent à l’infini. Nous restons immobiles, un bon moment, décontenancés par cette vue à la fois majestueuse et décadente, s’ouvrant sur une nature accablée où la vie s’accroche par intermittence et dont la fin semble proche.
Nous marchons quelques centaines de mètres sur la pierre gris-rose, franchissant ses fêlures sur des ponts bricolés, faits de branchages et de brisures de grès. Nous ne retrouvons la végétation que de l’autre côté du piton lorsque nous descendons vers Youga Piri alors à peine discernable, camouflée par les éboulis.
La falaise de ce côté est polie et dorée, éclairée par le soleil déclinant, et semblable à une coulée verticale de boue pâteuse ; un petit air de décor artificiel. Les bogolans sèchent suspendus, les femmes utilisent ici en guise de teinture des décoctions de feuilles d’indigotier, et protègent certaines parties du coton tissé, vouées à rester blanches. Le village semble endormi en cette fin d’après-midi, les moutons mi noirs, mi blancs sont affalés sans élégance aucune et il me tarde d’en faire autant.
Nous arrivons suffisamment tôt au campement pour profiter des dernières minutes de lumière, je prends quelques notes dans mon carnet, vais saluer les voisins et leur cadavre de chat (semble-t-il) qui trône dans le passage qui nous conduit chez eux. Il s’agirait de la demeure du Hogon, le chef religieux, avec qui Matthieu s’entretient un peu, pendant que fièrement je baragouine les quelques bribes de langue Dogon que je maîtrise à présent devant les enfants qui se sont ici regroupés. C’est peut-être mon accent peu convaincant qui les rend hilares, ou mon allure déliquescente, à moins qu’il ne s’agisse de ma tignasse jaune, les longues chevelures blondes étant plutôt peu courantes dans la région. Cela dit, la chevelure en question est dans un état étonnamment proche de celui de la peau du pauvre mammifère que l’on vient de croiser : un amas sec et compact de fibres informes. Je rêve d’un shampoing doux à la camomille suivi d’un soin capillaire réparateur aux 5 huiles essentielles et aux protéines de blé qui nourrissent et restaurent en profondeur …
Je mets fin à mon fantasme lorsque je réalise que l’eau que l’on nous apporte pour notre douche a été péniblement transportée par les femmes du village depuis les puits, tout en bas. Je fais définitivement une croix sur le spa relaxant lorsque je constate que la cabine de douche et les toilettes mixtes ne font qu’un... Je m’asperge à toute vitesse de deux gobelets d’eau après les avoir plongés dans un magnifique seau bleu lagon tout en retenant ma respiration.