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Le corbeau et la cuillère à tô -Trek Jour 4 – Youga Piri – Yendouma
Publié le 21 février 2010 par Magalicadet
Les premiers rayons du matin effleurent les petits personnages de bois qui recouvrent la sublime porte sculptée du cagibi dans lequel nous avons dormi. Bien rodés maintenant, nous remballons nos affaires avec une formidable efficacité, même Matthieu et les 28 sachets composant son Karrimor SF (le sac des forces spéciales britanniques, il fallait au moins ça pour s’attaquer aux adversités maliennes) sont sur le qui-vive avec ponctualité, sans doute la toute première fois depuis notre atterrissage à Bamako voilà une semaine.
Nous croisons des femmes, un peu farouches, qui pilent le mil. Je voudrais les photographier, capturer leur élégance, leur labeur sans relâche, mais les Dogons n’aiment ni les photos ni les touristes en mal de portraits exotiques qui souvent considèrent leurs villages comme des musées vivants. Et on les comprend …
Nous redescendons vers la plaine et entamons la traversée de l’étendue sablonneuse qui nous sépare de la falaise de Bandiagara. La poussière orange que charrient les airs nous polit le visage. Nous sommes à l’affût, guettant le rollier d’Abyssinie, lorsqu’un splendide spécimen nous fait l’honneur d’un petit ballet aérien, exposant avec orgueil son plumage éclatant : essentiellement bleu turquoise, brun-roux sur le dos. Le bout de ses ailes, bleu électrique, est ourlé d’une pointe de noir. Splendide.
Un peu plus loin, c’est un corbeau à cou blanc qui nous passe au-dessus, comme un écho aux légendes que Souley nous a contées la veille.
Un petit corbeau arrogant, persuadé d’être suffisamment habile pour défier les animaux de la plaine, participait à divers affrontements qu’il perdait systématiquement. Même le délicat kalapo, pas guerrier pour un sou, parvenait à l’humilier lors de leurs joutes [je n’ai trouvé aucune référence au kalapo sur le net, peut-être s’agit-il du kakapo, mais qu’est-ce que le kakapo viendrait-il faire en pays Dogon ??]. Et pourtant, lorsque le petit corbeau rentrait de ses éprouvantes journées, il vantait à sa mère ses propres mérites, lui décrivant de quelle façon il parvenait à distribuer des corrections aux animaux les plus redoutables de l’hostile nature africaine. Hyènes, lions, éléphants pliaient face à sa hardiesse et sa perspicacité. Sa mère ne cessait alors de le récompenser, se privant elle-même de nourriture pour combler le vaillant soldat [bon, quand même bien crédule la mère...]. Débordant de fierté, elle voulut observer les exploits de son intrépide progéniture. Les narrations pompeuses du petit corbeau ne la satisfaisant plus, il lui fallait le voir de ses propres yeux, terrasser les terribles ennemis dont il lui parlait tant. Lorsqu’elle constata que son fils, loin de dominer, se faisait fustiger à longueur de combats, ne remportant pas même le moindre petit duel, elle fulmina. Elle attendit son retour au bercail, se saisit de l’ustensile avec lequel elle fabriquait le tô [bouillie de mil traditionnelle] et le brûla au cou. Les plumes du petit repoussèrent blanches sur sa pauvre nuque, marque indélébile qu’il transmettra à sa descendance, châtiment corporel punissant ses paroles mensongères, un peu notre supplice des plumes et du goudron. Sacrément sévère.
Je regarde attendrie le passereau, finalement bien plus intéressant que son cousin tout noir qui erre fréquemment au dessus des poubelles en lisière de ma forêt meudonnaise.