Berurier Noir - Les éléphants
Arrivée au milieu de la nuit. Noir. Froid. De grandes grilles en fer. Un gardien qui demande ma carte d’identité et mon papier d’admission.
Entrée dans l’immense parc. Bâtiments qui s’alignent. Blocs de ciments qui projettent leurs ombres terrifiantes. Pétrifiée, endormie, je ne sais plus où je suis.
Dédale de couloirs. Accueil. Fouille des affaires. Pas de rasoirs, pas de médicaments, pas de lacets, pas de ceinture, pas de portable. Pleurs. Je suis toute seule maintenant.
Médecin gentil qui m’occulte. Conduit dans ma chambre. Quelqu’un dans le lit à côté. Je ne vois rien. Dormir.
Réveil à 7 heures. Plus de cigarettes, plus ma bague. Cris. Larmes. Mais bordel, où je suis ?
Accueil. Prise de sang. Oui, les vols sont courants. Bague retrouvée, puis petit déjeuner. Encore des cris, une télé allumée. De la souffrance partout. Une douleur indicible qui rôde. Ghetto de la folie.
"Le temps passe longtemets, longtemps. Je rencontre pleins de gens que je croyais jamais pouvoir rencontré. C’est vraiment étrange, tellement de douleurs, de peine, de gens, qui comme moi, ne savent plus où ils en sont."
On m’emmène dans la bibliothèque toute seule. Je ne suis pas assez folle. Je lis des nouvelles de Maupassant en attendant. Quoi ? Je ne sais toujours pas, je ne comprends rien.
On vient me chercher, je dois emballer mes affaires. Premier étage. Les cas les moins graves on me dit. Plus de calme mais la douleur est la même.
Une chambre où j’apprends vite à cacher mes affaires. Ma voisine communique, c’est déjà ça. Une grande salle avec des tables, des chaises, une télé et des cigarettes qui se consument.
Regards hagards, rivés sur la télévision, zombies. Pas un mot, le monde vit au ralentit. Un ralentit contrôlé par les horaires. Déjeuner.
Grande cantine. Bouffe immonde. Encore des pleurs, encore des cris, toujours. Forcer à ingurgiter les aliments. Par la parole ou par la force.
"Le temps est dilaté, lent, précis, calculé. Rien n’est laissé au hasard. On attend le repas, le café, les médocs, le repas, le dodo. Rien à penser, tout est prémacher"
Psychiatre. Je m’écroule. Médicaments, médicaments, médicaments. Tombez enceinte, vous grandirez. Quoi ? Qu’est ce que je fous là ?
Après-midi au rythme si lent. Télé. Et mes feuilles et mon stylo qui me sauvent, encore.
"Je lutte pour réfléchir, pour ne pas laisser mon pauvre p’tit cerveau s’affaisser. Je sais que tout ces mots m’ont déjà sauvé de nombreuses fois, de plein de situations, alors je compte sur eux"
Diner. Et la file d’attente des médicaments. A la queue leuleu, chacun son tour avaler ses petites pilules. Dormir.
Le lendemain, idem.
"Je ne peux continuer à m’abrutir (medocs+télé+sommeil) même si j’en ai besoin aussi. Fo que les rouages se désencrassent, que ma conscience reste consciente, coûte que coûte"
Des gens me parlent. Je ne comprends rien. Je ne veux pas qu’on me parle, qu’on me touche. Ca pue ici. Une douche pour 20 personnes. Dégueulasse.
Visites interdites. Téléphones une demi-heure par soir. Et là, l’horreur. Appeler mon amour dans cet état ? Mais il ne me reste que ça.
La honte. La peur. L’impression d’être en dehors de la vraie vie.
"Je ne peux rester dans ce cocon indefiniment mais ce n’est surement pas la solution. Je crois même que d’un côté, je ne veux pas sortir de cet hôpital. Je m’y sens en sécurité, je ne suis pas aussi vulnérable que dehors"
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J’en suis sortie trois jours plus tard à ma demande. Les textes en italique sont les retranscriptions exactes de mes écrits lorsque j’étais dans cet hôpital. Ce texte est le plus difficile que j’ai à écrire, trois jours pour un traumatisme à vie.
J’ai honte. Honte de mon pays qui enferme et drogue ceux qu’il n’accepte pas, les malades mentaux, les psychotiques, les névrosés. Honte de ce manque de moyen, d’argent , de considération, qui fait vivre ces gens dans un environnement inhumain, sale, inadapté, où la seule prise en charge est chimique.
Honte que ce pays cache ces souffrances, ces milliers de vies pour toujours brisées. On ne sort pas indemne d’un hôpital psychiatrique. Jamais.