La vogue des biopics est-elle révélatrice d'une crise d'imagination chez les scénaristes ou illustre-t-elle le besoin, pour le public, d'aller au cinéma en connaissance de cause, de retrouver, transposées sous un autre éclairage, des images qu'il a vues ailleurs, dans la réalité ? On peut se poser la question devant l'abondance des biopics qui nous ont été servis récemment dans les salles obscures ou à la télévision. Résumons-nous en disant que le biopic est une façon d'approcher, comme le ferait un beau livre d'images, l'histoire, la petite comme la grande ( Cléopâtre de Mankiewicz ), la politique ( Nixon et W, l'improbable président d'Olivier Stone ), la religieuse ( Thérèse d'Alain Cavalier ), la sociale ( Hiver 54, l'abbé Pierre de Denis Amar ) la culturelle ( La symphonie fantastique de Chritian Jaque sur la vie de Berlioz ou Surviving Picasso de James Ivory ) ou encore de remettre sur le devant de la scène des personnalités qui ont été " les people" de leur temps : ainsi Sartre/Beauvoir, Sagan ou Coco Chanel ou, pire, des ennemis public comme Mesrine. En conséquence, des albums d'images éclectiques puisqu'on y trouve aussi bien des âmes généreuses que des malfrats. Le cas des films sur les grands criminels est le plus souvent ambigu. En effet, dépeindre l'existence d'un assassin échappe à l'analyse froide du clinicien. Filmer l'histoire et l'environnement d'un meurtrier, c'est dévoiler ses faiblesse, ses failles, donc son humanité. De plus, se crée parfois chez le cinéaste une empathie entre le personnage, la caméra et le public. Ainsi en était-il pour l'étrange Landru réalisé par Claude Chabrol en 1962 et dans lequel Charles Denner faisait un formidable numéro de charme, si bien que le film virait à la glorification du sinistre personnage. Le diptyque de Jean-Fraçois Richet sur Mesrine relève davantage du western. Vincent Cassel s'est à ce point identifié à son héros, l'interprétant moins comme un criminel que comme le produit de la société des années 60, qu'il fait de lui un personnage romantique et, somme toute fréquentable. Dans Le dernier roi d'Ecosse ( 2006 ), Kevin McDonald, le réalisateur, ne cherche pas à glorifier le dictateur ougandais, mais fait apparaître le tyran dans son ambivalence : un mélange d'affabilité et de cruauté, de sottise et d'intuition, de raffinement et de puérilité. Mais il n'en reste pas moins vrai que la cas le plus complexe et le plus équivoque est celui des films qui concernent Adolf Hitler. On se rappelle la polémique qui suivit la sortie de La chute d'Olivier Hirschbiegel en 2004. Pour la première fois, les Allemands consacraient un long métrage à leur dictateur. On y voyait un Hitler paranoïaque, hystérique, effrayant, mais également doux, calin, charmeur, inquiet, soucieux des autres, bref humain. Certains se sont offusqués qu'on puisse lui accorder la plus petite once d'humanité. D'autant que la performance de l'acteur suisse Bruno Ganz conférait une épaisseur et une densité remarquable au personnage. Mais tel était bien l'enjeu du film : rendre son humanité à un être trop souvent réduit à des photos de propagande, des cris et des excès. C'est en montrant un Hitler quotidien qu'on dénonce le mieux la dimension tragique de l'individu, ce qui jette un trouble d'autant plus grand que l'on peut davantage s'identifier à cet individu médiocre qu'à un potentat hystérique...
Après les monstres, pourquoi pas les saints et le récit de vies exemplaires et édifiantes ? Nous avions eu, en son temps, un Monsieur Vincent, incarné par un Pierre Fresnay très émouvant, nous avons eu, plus proche de nous, un Gandhi ( 1982 ) de Richard Attenborough, tout aussi convaincant. Mais il est difficile d'échapper au sulpicianisme, que ce soit pour les religions orientales - le trop sirupeux Little Budha de Bertoluccic en 1993 - ou occidentales. Depuis ses premiers tours de pellicule, le 7e Art a tenté de retracer la vie du Christ. Mais le grand écran n'est pas un vitrail. De la trop riche en hémoglobine Passion du Christ de Mel Gibson ( 2004 ), en passant par le médiocre Golgotha de Duvivier, la seule réussite reste L'évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini ( 1964 ). Sans doute parce que le cinéaste marxiste n'a pas cherché à nous montrer autre chose que l'homme Jésus nu et dans une épure qui confine naturellement à la sainteté. On en dira de même de l'inoubliable Jeanne d'Arc de Carl Dreyer en 1928 et de celle de Bresson en 1962. Il faut tout le jansénisme de ces réalisateurs danois et français pour retrouver l'absolue pureté d'une figure qui, devant d'autres caméras, versa tristement dans le chromo ou la niaiserie.
Il y a, par ailleurs et comme je le soulignais plus haut, les films consacrés à l'évocation de personnalités à la mode qui nous ont quittées récemment et dont l'aura suffit à assurer le succès de ces réminiscences. Nous avons vu ainsi se réactualiser Coluche sous les traits de François-Xavier Demaison, dans Histoire d'un mec d'Antoine de Caunes, l'acteur Geoffrey Rush camper l'acteur Peter Sellers dans Moi, Peter Sellers de Stephen Hopkins ( 2004 ), l'actrice Marion Cotillard se glisser, avec quel talent, dans la peau de l'inoubliable Edith Piaf dans La môme d'Olivier Dahan ( 2007 ), Sylvie Testud en faire autant avec le personnage de Sagan. A ces reproductions impeccables, où tout est en place ( décors, costumes, mimiques ), où les comédiens s'effacent au point de se fondre dans l'autre, on préférera les visions véritablement cinématographiques ( donc artistiques ) d'un Fellini qui brosse un portrait personnel de Casanova, de Pialat peignant Dutronc en Van Gogh ( 1991 ) ou d'un Robert Guédiguian qui donne à Michel Bouquet l'un de ses rôles les plus étranges dans Le promeneur du Champ de Mars ; cet immense acteur ne tentant nullement de singer Mitterand par des mimiques superflues, mais le faisant exister autrement, grâce à une interprétation crédible et humaine qui est pure création. Car nous sommes aujourd'hui les victimes consentantes d'une technique presque parfaite, qui permet de reproduire n'importe quelle époque, n'importe quelle silhouette, n'importe quel visage. Couchés sur ces lauriers technologiques, les réalisateurs ne sont plus tenus à faire preuve d'innovation artistique et se contentent trop souvent de donner au public ce qu'il réclame : de la photographie ; n'ayant recours qu'accessoirement à une imagination réellement créatrice On l'a vu avec le scénario décevant d' Avatar . Cela peut être l'un des dangers qui guette le cinéma de demain...
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