Finir l’enregistrement d’un disque c’est comme se réveiller avec une immense gueule de bois : on ne sait plus trop ce qu’on a fait, tout paraît flou, on a à la fois honte et peur, mais finalement, selon une logique à laquelle on ne comprend pas grand-chose, on sait que quelque part les choses se sont passées pour le mieux. Pour décompresser, il faut des sucreries. Qui peut remplir ce rôle, si ce n’est Glen Campbell ?
Parmi les trente personnes en France (elles ne seront plus que dix-huit l’an prochain, si on en croit les hospices) qui écoutent quotidiennement Glen Campbell, on se retrouve donc à regarder un DVD, « une soirée » avec lui, là dans le salon. C’est un concert dangereux : à voir le public, une limite d’âge était imposée à l’entrée pour épargner les nubiles. On écoute Glen Campbell mourant et asthmatique, ou on ne l’écoute pas.
Et pourtant, il faut avouer, on donnerait tout pour offrir, un jour, on ne sait quand, si on survit à tout, et si la fortune sourit, un concert comme ça. Avec un costume, un brushing parfait, un orchestre, des dents blanches, des amis sur scènes, trente musiciens coupés au mix, des blagues écrites par des nègres, et un public moribond. « Ernesto Violin and Friend ». Et évidemment, avec le vieux Glen, malgré le décorum, tout est parfait.
Glen Campbell est une sorte de monstre. Guitariste de génie qui a cachetonné pour tout le monde, chanteur sirupeux donc parfait, personnage aux choix artistiques parfois douteux (un coup on chante tout Jimmy Webb, un coup on joue du flat picking pour des BO de films italiens), c’est une icône sucrée, marshmallow. Ce qui est idéal quand on veut le passer devant des amis autour d’un feu, en été.
Le concert reprend tous les temps forts de sa carrière et, malgré les moqueries d’introduction, on ne peut pas insister assez sur l’amour qu’on leur porte. Du Jimmy Webb, donc (Wichita Lineman, By The Time I Get To Phoenix), mais aussi une scie transcendée (Classical Gas) et deux mastodontes.
Tout le monde connait par cœur le Highyman (Webb encore) des Highwaymen (Waylon, Johnny, Kris et Ringo), dans une version dure à cuire qui insiste sur le côté outlaw, mais passe quelque part à côté du sujet. Dans sa version originale, arrangée par George Martin (et plus ou moins reprise ici), la chanson est une splendeur comme on peut difficilement en imaginer. Cordes, cuivres, orchestre à la partition délirante. Pas besoin de croire en la réincarnation (et pour cause) pour avoir le cœur transporté par la poésie de ce voyage, cet assemblage de quatre vignettes intemporelles qui se mélangent à l’univers entier et qui rejoignent quelque part le I Am The Cosmos de Chris Bell. On garde le souvenir de l’avoir écoutée le matin de Noël, dans un village de Lorraine, remontant une route enneigée en pleine forêt , la tête pleine de navires pirates, de gouttes de pluie, de bandits mexicains, tous fondus en une même symphonie de trois minutes, à chercher un lien un peu vague entre tous les éléments du décor, et le reste.
Et bien sûr, Gentle On My Mind. Découverte grâce au précieux compère des Handclaps, cette chanson obsède littéralement depuis. Mélodie sommaire mais tortueuse, reposant sur un chromatisme discret, c’est avant tout une des plus grandes chansons jamais écrites sur le souvenir, l’évocation, la tendresse, etc., le tout couché sous une couette d’arpèges cotonneux. C’est devenu un genre à part entière, « son Gentle On My Mind à lui », que ce soit Just Like The Rain de Richard Hawley ou The Tempest de Viol (pour citer deux exemples au hasard.)
Au final, donc, il faut aimer les arrangements orchestraux, la niaiserie et la naphtaline, mais on ne sortira pas déçu de cette soirée. Et on prépare le costume de scène pour un jour meilleur, en rêvassant un peu.