Ségolène Royal et la baigneuse de Coney Island.

Publié le 20 février 2010 par Pensezbibi

Lorsque BiBi a ouvert le « Monde », le Monde s’est ouvert à lui sur ces deux photos : l’une couvrant la Une du « Monde Magazine » (Ségolène Royal, l’Effrontée) l’autre se trouvant en page intérieure, dans les replis de l’édition du samedi («La Baigneuse de Coney Island » photographiée par Lisette Model).

Malgré le Monde qui les sépare, ces deux photos se sont imposées à lui ensemble. En écrivant sur cette contigüité, BiBi s’est (un peu) découvert à lui-même, s’est un peu ouvert, à son tour, au Monde.

 

Quand les modèles ne fixent pas l’objectif…

Ségolène a déjà glissé, les yeux fermés, entre chatouilles et jouissance. Elle se veut hors-temps. La New-yorkaise se laisse attendrir, toute présente au Présent. C’est dimanche  de sortie, et la voilà – comme souvent les dimanches de printemps et d’été – sur le sable de Coney Island : elle a fini, un peu éreintée, sa longue semaine chez Harper’s (Dieu que les clientes ont été exigeantes !) et elle se prélasse dans le maillot de bain acheté en soldes l’année précédente.

Deux femmes, deux plaisirs.

Ségolène est comme prise par surprise mais déjà les entours et les quelques détails de son visage démentent le « Naturel » et le hasard. Le fond gris s’équilibre avec le châtain foncé de la chevelure. Le noir plus appuyé du veston rehausse le visage savamment éclairé de ce modèle connu, reconnu, prestigieux.

Le négligé des longs cheveux est très travaillé : il relève l’éclat et la rondeur (surprenante) des joues. Les pattes d’oie sont symétriques. Les cils sont légèrement maquillés. Les yeux fermés ne suffisent pas, à eux seuls, à donner l’impression de la gaîté. Dans ce puzzle bien pensé, il y faut un peu plus, il y faut un rire, il y faut des dents blanches, des dents (mâchoire supérieure uniquement) impeccablement blanches. C’est ce rire encadré par des lèvres fines – à peine violacées – qui justifie le titre : « L’Effrontée ». Une photo : un puzzle.

Rajoutons d’autres pièces au puzzle.

Le cou est dégagé. La gorge nous offre un collier très fin et un semblant de papillon doré. La photo est lisse/lissée. Toute aspérité et tout défaut y sont gommés mais… ce « maquillage » de la photo accentue bizarrement le toc du cliché. En détaillant la peau de Ségolène Royal, BiBi y voit des traces de poudre et de saupoudrage.

Dans le modèle ainsi photographié, il y a quelque chose d’anachronique. Un petit je ne sais quoi, inassimilable aux photos ordinaires d’un top-model. Obligation est faite de revenir à ce rire… ce rire qui n’est pas le rire usuel et un peu faux du Mannequin, ce rire qui n’est pas non plus le rire d’un calcul. Ségolène Royal rit, tête légèrement en l’air : peut-être rit-elle de tout ce qui l’accable ? Peut-être que la fatigue de la séance lui fait combiner ce rictus avec un rire de détresse ? Non, c’est plus que ça : peut-être implore t-elle des Forces supérieures pour rire avec elles ? Ou une demande de partage avec l’Inconnu pour enfin revivre ailleurs qu’en Politique ? Dans cet interstice labial passerait alors la Volonté de tout oublier d’elle-même (de ce côté déjà perdu de Dame politique), de tout oublier de ce Monde en vitrine et en Magazine ?

Le modèle de Lisette Model est à l’opposé.

Elle est dans ce Monde, toute d’une pièce. Foin de pièces de puzzle : elle est toute là. Magnifique sans ostentation. Dans ce monde entre Terre et Eau, elle entend y prendre sa place, toute sa place. Elle sait évacuer les humeurs de la semaine pour ne  penser qu’à cet instant dominical. De ses formes, elle en fait don à l’eau, au sable et au regard de celui qui l’apostrophe (hors-champ). Son homme ? Son enfant ? Ses copines ? En semaine, elle n’est qu’une fourmi dans le Grand Magasin où elle travaille (ah ces nouveaux horaires ! Ah ce nouveau patron de Baltimore !), une fourmi qui va, qui vient en ordre, en rang, en docilité (apparente). Ici, à Coney Island, elle n’est pas tout à fait une Reine (elle n’aime pas trop ces airs d’Aristocrate des pin-up et leurs poses). Ici, elle est comme une Patronne, une gentille Patronne. Coney Island est à elle mais pas qu’à elle seule : elle sait partager. D’ailleurs, hors-champ, son homme, ses copines, son enfant sont là.

Des regrets.

Parfois, elle regrette de n’avoir pas beaucoup de choix. Elle aimerait aller sur la Côte Ouest, rompre la monotonie du trajet du Bronx-Plage et Plage-Bronx mais c’est trop tard, trop d’économies à faire, trop loin, trop vieille, trop, trop, trop de. Si elle pouvait le dire, elle dirait qu’il est bon de prendre son temps, de prendre tout son temps, de prendre l’espace, tout l’espace. Et même si elle rêve d’Ailleurs, elle remercie le Seigneur de lui avoir donné – quand même – tous ces Dimanches. Mais ce n’est pas assez, pas assez : merde, merde, merde, faut déjà penser à lundi matin.