Un billet pour parler d’Emmanuelle Urien. En bien.

Par Georgesf

-

 

-

Les Editions Quadrature ont eu l’excellentissime idée de mettre sur le marché une nouvelle édition du premier recueil d’Emmanuelle Urien, « Court, noir, sans sucre », publié il y a 5 ans par l’éditeur « L’être minuscule ».

L’idée n’est pas si excellentissime que ça, parce qu’elle va faire baisser mon capital : je détenais ce recueil qui, devenant introuvable, prenait de plus en plus de valeur. Tant pis pour moi, tant mieux pour elle, et tant plus mieux pour vous - encore une fois ce problème grammatical du comparatif et du superlatif de mieux. Mieux que mieux, c’est quand même précis comme idée, pourquoi le Bescherelle n’a-t-il rien prévu dans ce cas-là ?

Je commence par le plus important, c’est la photo. Au début, j’ai cru que la photo de la couverture suffisait : vous devriez comprendre que les nouvelles du genre court, noir, sans sucre, seraient peu longues, assez noires, et pas spécialement édulcorées. Moi, pour être sincère, je l’ai compris bien plus tard, mais je ne suis pas vif quand on parle de littérature.

Mais j’ai été pris d’un doute : avec un titre pareil (et je n’ai pas encore parlé du contenu), on risque d’imaginer une drôle de bouille à l’auteur : genre visage raviné par les haines et les pensées sombres, enfoui sous une chevelure ébouriffée par endroits (aux autres endroits, il n’y a plus de cheveux tant la triste femme se les est arrachés – bizarre, ce pluriel à arrachés).

Mais c’est comme ça, Emmanuelle n’a pas une tête à écrire des livres courts, noirs, sans sucre, il faut vous y habituer. Elle a une tête à chanter comme la dame de la photo, et tant mieux, car c’est elle. Le type à côté, qui l’accompagne à la guitare, c’est Manu Causse, et c’est justement le type qui l’accompagne. Très bien, d’ailleurs. Et en plus, lui aussi, il écrit très bien, mais si j’en parle, on va encore me reprocher mes abus de digressions.

Revenons au sujet : il est très bien ce recueil introuvable. Tous ceux qui l’ont trouvé l’ont trouvé très bien. Ceux qui ne l’ont pas trouvé aussi, car ils gardaient espoir. C’est pour eux que j’écris ce billet. Les autres, vous pouvez rester pour chauffer la salle.

Les idées d’Emmanuelle sont simples et noires. Et elle les raconte d’un petit ton léger pour que le drame soit vraiment simple et noir. Mais elle les raconte de façon de moins en moins souriante, tandis qu’elle écrit en spirale. Car Emmanuelle Urien écrit en spirale : j’ai trouvé ça un jour, et depuis je le place chaque fois que je parle d’elle. Donc souvent.

La plupart des bons nouvellistes ont une écriture rectiligne : ils commencent une histoire au début, la content, puis la terminent à la fin. Moi, par exemple, je fais ça très bien. On est juste quelques milliers comme ça. Même les mauvais font comme ça, parce que c’est plus facile.

Emmanuelle, elle, avance en spirale. Elle ne raconte pas une histoire, elle décrit une situation. Celle d’une femme qui fait sa valise, celle d’un fils occupé aux W.C., alors il répond « Occupé » au père qui tambourine. Celle d’un taxi qui accueille ses clients. Du quotidien. Puis, tandis qu’elle décrit doucement la situation, la spirale se resserre, on sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas, elle tourne autour d’un drame, de plus en plus vite : la situation devient histoire, et à la fin de l’histoire, on ne peut plus tourner, on est arrivé au coeur de la noire spirale. On est tombé dans la chute. Une vraie chute, pas une pirouette comme on fait dans l’école française de la nouvelle. Une chute qui donne tout son drame au drame, tout son sens à ce qu’on vient de lire et qui nous laisse bouche bée, juste assez pour dire bravo.

Et tout cela est brossé à petits coups de pinceau légers, presque transparents, c’est de l’aquarelle. Chaque phrase se superpose presque sur la précédente, elle crée une transition infime vers le centre de la spirale. C’est très fort, c’est bien joli, comme disent les passants devant les aquarellistes sur les quais à Honfleur, car ils ne savent pas quoi dire. Moi, je le dis parce que c’est exactement ça.

C’est très difficile à bien construire une nouvelle en spirale. J’ai voulu en écrire quelques-unes, en une sorte de coup de chapeau à Emmanuelle Urien. Le chapeau était tout poisseux, il m'edst resté dans la main. Je me suis chaque fois planté. Sauf une fois, quand j’ai écrit « L’Île Sainte-Absence », dans Qui comme Ulysse. Mais si ça tombe, Emmanuelle l’a lue sans remarquer que c’était du Urien. Une bonne spirale, ça ne se voit pas.

Lisez Court, noir sans sucre, même si vous l’avez déjà lu : il y a trois nouvelles nouvelles dans ce recueil réédité. Lisez-le, lisez-les, laissez-vous emporter dans la spirale, et criez au secours quand vous serez arrivé au milieu. Personne ne viendra vous rechercher : on est toujours très seul à la fin d’une nouvelle d’Emmanuelle Urien.

Un peu comme devant un tableau du Caravage : on se laisse tomber dedans.

Ah, j’allais oublier la carte de visite, si vous commandez ça en librairie :

http://www.editionsquadrature.be

i6doc.com

ISBN : 978-2-930538-08-2

9 782930 538082

Court, noir,sans sucre, 15 euros.

Nouvelles d’Emmanuelle Urien.

Deuxième édition, revue et augmentée

Editions Quadrature.