J'ai retrouvé la photo par hasard dans un tiroir, dans une chemise cartonnée où j'amasse des coupures de presse, articles divers, notes jetées à la va-vite sur des dos d'enveloppes usagées et dont j'espère pouvoir un jour tirer matière à faire une note dans ce blog. Bien entendu il ne s'agit pas d'une photo originale, ni même d'une vraie photo mais d'une reproduction découpée dans un magazine, d'une célèbre photographie de Willy Ronis. Pourquoi l'avais-je mise de côté, celle-ci et pas une autre ?
Le jour où je suis tombé sur ce document j'ai eu un choc, j'ai cru me voir sur cette photo. Ce petit garçon en culotte courte qui court sur le trottoir, il revient de la boulangerie sa baguette sous le bras et certainement la monnaie en centimes de francs au fond de sa poche. C'est le printemps, il fait beau mais il a néanmoins un pull sans manche car il fait peut-être encore un peu frais, du moins est-ce l'avis de sa maman qui l'a envoyé faire cet achat de dernière minute, juste avant de passer à table, du pain frais de la dernière fournée, avant que le père ne revienne du bureau pour déjeuner.
Il court - je cours - tout fier de cette responsabilité nouvelle, aller seul chez le commerçant acheter le pain. Nous sommes à Paris, en 1957 ou 1958 que sais-je, le pain est encore un aliment important pour les Français, Je reviens de la rue Cadet toute proche, quelques dizaines de mètres rue Richer et j'entre en trombe dans la cour de l'immeuble après en avoir poussé la lourde porte en verre et métal. Derrière son rideau la concierge, ma grand-mère, me jette le coup d'œil soupçonneux de celle qui vérifie les allées et venues sur son domaine.
Dans la cour ma petite auto à pédales bien rangée attend que j'ai terminé de déjeuner pour que nous reprenions nos courses folles. Je lève la tête vers le dernier étage, sous les toits de zinc, nos deux fenêtres fleuries grandes ouvertes laissent entrer le soleil dans notre petit logement où ma mère prépare le repas tandis que ma petite sœur joue certainement avec l'une de ses poupées. Je me dépêche dans l'escalier avec mon précieux fardeau, mettant un point d'honneur à rentrer avant mon papa.
Sur la photo je rayonne de bonheur, de ce bonheur simple dont nous savions nous contenter quand nous étions enfant dans les années cinquante.